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LA ROTATION DE LA TERRE

doctrine avait été surtout mise à profit pour garantir le système astronomique des excentriques et des épicycles contre les attaques de la Physique péripatéticienne. Après les Hellènes[1], les Sémites[2], Arabes ou Juifs, avaient usé de cette fin de nonrecevoir à l’encontre des arguments forgés par les partisans des sphères homocentriques. Au xive siècle, les maîtres-ès-arts de Paris avaient accueilli avec faveur ce qu’un Posidonius, un Simplicius enseignaient au sujet des suppositions des astronomes[3], et Jean Buridan n’avait pas été le moins empressé à recueillir ces échos de la pensée hellénique[4].

À l’encontre des Aristotéliciens intransigeants qui voulaient, à force d’objections de Physique, les contraindre de n’employer que des sphères homocentriques au Monde, les physiciens de Paris usaient volontiers de cette riposte : Nos hypothèses ne sont point des jugements sur la réalité des choses ; elles n’ont d’autre objet que de permettre le calcul et la prévision des mouvements apparents ; nous sommes donc entièrement libres de les choisir comme il nous plaît, pourvu que les phénomènes soient sauvés. Il s’en trouvait parmi eux, Buridan nous l’apprend, qui revendiquaient de meme façon la liberté de faire tourner la terre si bon leur semblait, en dépit de la Physique d’Aristote.

Au moment où les hypothèses de Copernic commenceront d’inquiéter Péripatéticiens butés et Théologiens à courte vue, on s’y prendra de même pour mettre le nouveau système à couvert de leurs critiques et de leurs condamnations. Dans la célèbre préface qu’il mettra, après la mort de Copernic, au traité De revolutionibus, André Osiander déclarera que « les hypothèses des astronomes n’ont pas besoin d’être vraies ni même vraisemblables ; il suffît qu’elles fournissent des calculs conformes aux observations. » En dépit des réclamations indignées des Pierre La Ramée (Ramus), des Giordano Bruno, des Képler, la doctrine d’Osiander gardera longtemps de nombreux partisans. Or le disciple de Copernic ne fera que reprendre, nous le voyons, le langage tenu, au temps de Buridan, par certains partisans de la rotation de la terre.

Revenons aux objections de Buridan contre cette hypothèse.

« D’autres tirent argument de multiples apparences.

1. Voir : Première partie, ch. X ; t. Il, p. 59 s.

2. Voir : Première partie, ch. XI ; t. II, p. 117 s.

3. Voir : Seconde partie, ch. IX § I, t. IV, p. 91-96.

4. Voir : Seconde partie, ch. IX ; § VI, t. IV, p. 137-142.

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