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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

découverte du continent américain la devait faire rejeter ; mais il semble qu’il ne l’abandonne point sans regret, car il prend soin d’indiquer par quelle modification on la pourrait peut-être sauver de la condamnation. Nous trouvons là une preuve saisissante de la longue carrière qu’a fournie le système géologique du philosophe de Béthune.

La science actuelle elle-même n’a-t-elle rien gardé de ce système ?

Nous ne parlons pas ici de l’esprit qui inspirait les géologues parisiens du xive siècle. De tous les bouleversements qu’ont pu éprouver la face des continents et la configuration des mers, ils s’efforçaient de rendre raison par les seuls principes de la Mécanique. Il est bien clair que cette méthode est aussi celle que suivent les géologues modernes. Mais, jetant un regard plus particulier sur les propositions mêmes que formulaient Buridan et ses disciples, nous nous demandons s’il n’en est point d’analogues dans la science la plus récente.

La proposition fondamêntale de Buridan s’était, après quelques tâtonnements dont Albert de Saxe et Thémon nous ont apporté le témoignage, transformée en celle-ci, qu’avait formulée Pierre d’Ailly : La surface de l’Océan est celle d’une sphère dont le centre coïncide avec le centre de gravité de l’ensemble de la terre et des mers. Nous avons dit comment la théorie de l’attraction universelle avait conduit Laplace à retrouver cette proposition, non plus à titre de vérité rigoureuse, mais à titre de première approximation.

De cette proposition, M. Croll a fait une curieuse application au changement que le niveau des mers a sans doute éprouvé à la fin de la période glaciaire[1].

Imaginons qu’une épaisse calotte de glace recouvre une partie de l’hémisphère septentrional ; la surface de l’Océan a pris une certaine figure qu’en première approximation, nous assimilons à une sphère ayant pour centre le centre de gravité de tout le système terrestre.

Supposons que le climat de l’hémisphère boréal devienne plus tiède, celui de l’hémisphère austral plus froid ; une grande partie de cette calotte de glace va éprouver une débâcle ; elle

1. James Croll, On the Physical Cause 0/ the Submergence and Emergence of the Land during the Glacial Epoch. (Philosophlcal Magazine, 4 séries, Vol, XXXI, 1866, p. 301-305). — William Thomson, Note on the preceding Paper. (Ibid., p. 305-306 et Sîr Wïliiam Thomson, Baron Kelvin, Mathematlcal and Physical Papers, vol. V, 1911, p. 157-158.)

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