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LA THÉORIE DES MARÉES

donnée, qui est la suivante : Le Monde est vivant ; c’est un animal immense ; le mouvement qui, d’une alternance régulière, gonfle, puis déprime le niveau des mers, c’est la respiration de cet être animé.

Cette explication fabuleuse remonte probablement à une haute antiquité. Plusieurs savants de l’Islam, et non des moindres, l’avaient accueillie avec faveur : Massoudi, Kazwînî, Scems-ed-Dîn[1], citent, sans les repousser, cette hypothèse ou des hypothèses analogues.

L’idée de voir dans la marée une sorte de respiration de notre globe n’a guère trouvé d’accueil dans la Scolastique latine. Brunetto Latini la connaît ; mais il a le bon sens de la rejeter pour rapporter le flux et le reflux à l’action de la Lune.

« Li un, écrit-il[2], dient que li mondes a âme, à ce qu’il est fait des IV élémenz, et por ce coviént que il ait esperit[3], et dient que cil esperis a ses voies au parfant de la mer, par où il aspire aussi comme l’ome fait par les narilles ; et quant il aspire hors et ens[4], il fait les aigues[5] de mer aller sus et retraire arrière, et revient selon que ses aspiremenz va ens et Jiors.

» Mais li astronomien dient que ce n’est, se por la Lune, non[6] ; à ce que on voit les floz croistre et apetisier sèlonc la croissance et descroissance de la Lune, de VII en VII jors que la Lune fait ses IV voultes[7] en XXVIII jors par les IV quartiers de son cercle. »

Brunetto connaît la période mensuelle de la marée ; c’est dans cette période qu’il voit la preuve de l’action que la Lune exerce sur cet effet ; il ne paraît pas savoir que cette preuve se peut aussi déduire du lien qui existe entre la période diurne de la marée et le mouvement quotidien de la Lune.

C’est seulement d’une manière accessoire que Pierre d’Abano parle des marées ; il est médecin ; ce qui l’intéresse avant tout, c’est l’action que la Lune exerce sur les humeurs du corps humain ; le désir de mieux connaître cette action le presse seul de considérer l’effet du même astre sur le flux et le reflux de l’Océan.

1. Roberto Almagia, La Dottrina délia Marea nelV Aniichita. classica e nel Medio Evo. (Msmorie délia R. Accademia dei Lincei, Sérié 5a, Classe di Scienze matematiche, fisiche e naturali, vol. V, 1905, p. 444, p. 450-451.)

2. Brunetto Latini, loc.’cil.

3. Esperit = esprit, souffle.

4. Ens — en dedans.

5. Aigues = eau.

6. C’est-à-dire : Que ce n’est point, si ce n’est pour cause de la Lune.

7. Voultes — changements de face.

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