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LES PETITS MOUVEMENTS DE LA TERRE

Thémon ne consacre, dans ses Questions sur les Météores, qu’un court passage à la théorie géologique de Buridan ; c’en est assez, cependant, pour nous apprendre qu’il admet pleinement cette théorie.

« Si en quelque endroit, dit-il[1], la mer est soulevée, elle se meut aussitôt vers un lieu plus bas ; c’est ainsi qu’à certaines époques, elle délaisse une partie de la terre et s’écoule jusqu’à ce qu’elle recouvre une autre partie. Cela se produit de la manière qui a été dite, à cause de la rareté de la terre ; en effet, à une certaine époque, la terre étant plus rare d’un côté, y est plus légère ; puis, à une autre époque, les parties qui étaient légères peuvent devenir beaucoup plus pesantes qu’elles n’étaient auparavant ; la mer, alors, abandonnant une région de la terre, se répand sur celle qui est devenue plus grave. De ce mouvement parle Aristote quand il dit que certaines parties de la terre, habitables aujourd’hui, cesseront un jour de l’être parce qu’elles seront submergées. De ce mouvement aussi parle Ovide lorsqu’il conte qu’en une certaine montagne, une ancre fut trouvée sous terre, signe manifeste que la mer avait autrefois occupé ce lieu. »

Le passage d’Ovide auquel Thémon fait allusion, c’est celui que nous avons précédemment cité[2]. Afin de prouver que la mer a séjourné au sommet des montagnes, Ovide ne rapporte pas seulement cette légendaire découverte d’une ancre ; il invoque aussi l’incontestable présence de coquilles marines :


Et procul a pelago conchæ jacuere marinæ
Et vetus inventa est in montibus anchora summis.


On peut s’étonner que ni Buridan, ni Albert de Saxe ni Thémon n’aient, dans l’existence des fossiles, cherché la preuve convaincante de leur affirmation que les continents actuels ont été autrefois au fond des mers. Cette existence ne pouvait être ignorée d’habitants de Paris ; sans doute, ils avaient eu mainte occasion d’observer les coquilles qu’on trouve, si abondantes et si reconnaissables, en nombre de terrains du bassin parisien ; s’ils n’avaient pas observé, du moins avaient-ils lu Isidore de Séville, Averroès, Albert le Grand, Vincent de Beauvais, dont les écrits jouissaient d’une vogue extrême ; et ces écrits eussent suffi à les rendre attentifs aux restes d’animaux que gardent certaines pierres ; il serait invraisemblable que

  1. Quæstiones super quatuor libros metheororum compilatæ per doctissimum philosophiæ professorem Thimonem ; lib. II, quæst I.
  2. Voir p. 252.