Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/307

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
304
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

déminent habitable et que, du côté de l’Occident, il ait délaissé une égale étendue de terre ; il pourra se faire qu’en un autre temps égal, il gagne de nouveau autant vers F Orient et perde autant vers l’Occident ; et qu’il en soit ainsi jusqu’à ce que l’Océan ait fait le tour de la terre. On objectera peut-être que, selon cette imagination, la mer monterait sur la partie la plus élevée de la terre, ce qui est impossible. Je dis qu’il n’en sera rien ; en effet, si la mer s’est accrue de dix lieues vers l’Orient et a décru de dix lieues du côté de l’Occident, cette terre qu’elle a recouvert du côté de l’Orient ne reçoit plus la lumière du Soleil ; elle se refroidit et perd de sa légèreté ; au contraire, du côté de l’Occident, la terre qui a émergé devient plus légère sous l’action de l’air et du Soleil ; or la terre va se mouvoir sans cesse du côté de la partie la plus légère ; partant, plus la mer avancera dans sa marche autour du Monde, plus la partie de la terre qu’elle aura délaissée s’allégera et s’élèvera, en sorte que la mer recouvrira toujours la partie la plus déclive de la surface terrestre.

» Douzième conclusion. Il est raisonnable que, du sein de la mer, émergent des îles et des montagnes ; en ce lieu, en effet, avant que la mer y fût, la terre était montagneuse. Il est raisonnable qu’en certaines mers, les îles semblent s’accroître et s’élever ; en effet, si ces mers-là diminuent, les îles s’élèvent davantage au-dessus de la surface des eaux. Il est également raisonnable qu’en certaines mers, les îles paraissent diminuer ; soit parce que ces mers augmentent, soit parce que leur flux et leur reflux, ainsi que les tempêtes dont le vent les agite rongent les rivages des îles. Mais il est raisonnable que l’Océan ne présente pas d’îles, si ce n’est au voisinage de ses côtes, car l’excentricité de la terre rend la profondeur si grande au milieu de cette mer qu’aucune montagne, s’élevant sur la surface terrestre qui en forme le fond, ne saurait atteindre la surface externe des eaux.

» Treizième conclusion. Une même ville peut devenir plus orientale ou plus occidentale qu’elle n’était ; on dit, en effet, qu’une ville est d’autant plus orientale qu’elle est plus proche de l’Océan du côté de l’Orient ; or elle s’en rapprocherait si la mer augmentait de ce côté-là, elle s’en éloignerait si la mer diminuait. Tandis donc que l’Océan accomplit son déplacement autour de la terre, il faut que le méridien moyen de la terre habitable change de position par rapport au ciel que nous avons supposé immobile.