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LES PETITS MOUVEMENTS DE LA TERRE

sition qui est possible ou véritable ; c’est qu’il existe un ciel perpétuellement immobile, que ce soit le ciel empyrée ou quelque autre ciel. »

Comme en la question que nous étudions et, surtout, dans la question suivante, Buridan attribuera à la terre certains mouvements, il tient à définir le repère absolument fixe auquel ces mouvements sont rapportés par la pensée ; nous avons déjà signalé, à propos de la théorie du lieu, la sagacité dont témoigne cette précaution[1].

« Je suppose aussi que le Monde a perpétuellement existé, comme Aristote semblait l’entendre, bien que ce soit faux au gré de notre foi ; je suppose que les corps célestes se meuvent et dirigent le Monde d’ici-bas sans aucun miracle.

» Soit donc A l’hémisphère du ciel immobile sous lequel se trouve présentement l’Océan et B l’autre hémisphère sous lequel se trouve aujourd’hui la terre habitable.

» Au sujet de cette question douteuse, je vais poser maintenant des conclusions soumises à certaines conditions, dont voici la première…

» Si les plus hautes montagnes de la terre se sont toujours trouvées sous les points du ciel immobile qui les dominent à présent, et si la grande dépression terrestre que l’Océan remplit aujourd’hui a toujours été placée sous la partie du ciel immobile qui la recouvre maintenant, alors, par rapport à ce ciel immobile (in ordine ad cælum quiescens), la mer n’a jamais été où sont ces montagnes ; il s’en faut de beaucoup qu’elle s’en soit approchée ; toujours le continent émergé s’est trouvé où il est ; là où est l’Océan, l’Océan a toujours été et sera toujours.

» Cette conclusion est évidente ; toujours, en effet, c’est du pied des grandes montagnes que devront jaillir les sources et naître les fleuves ; c’est de là que les eaux devront toujours couler pour se rassembler au lieu le plus bas et y constituer l’Océan. Jamais il ne sera possible par voie naturelle que la mer se trouve rassemblée au lieu le plus élevé ; jamais elle ne pourra parvenir naturellement aux endroits les plus hauts ; ce serait concéder la possibilité naturelle des déluges universels. »

La dernière conclusion est la suivante : « Si ces montagnes très élevées peuvent être détruites par voie naturelle et si d’autres montagnes peuvent être engendrées, si la partie la plus déprimée de la terre peut se trouver un jour là où se trouve, à

  1. Voir : Cinquième partie, ch, III, § IX ; t. VII, pp. 268-275.