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LES PETITS MOUVEMENTS DE LA TERRE

rejeter ; c’est celle au gré de laquelle la mer serait plus élevée que la terre.

Que cela puisse avoir lieu dans certains cas exceptionnels, notre auteur n’y contredit pas. « J’ai entendu dire par plusieurs escholiers de Zélande qu’une grande partie de leur patrie était beaucoup plus basse que la mer ; aussi faut-il, aux frais du pays, travailler sans cesse contre la mer et faire une rive artificielle qui s’oppose à ses progrès. Mais une telle œuvre violente et artificielle ne saurait être perpétuelle. »

C’est, d’ailleurs, contre l’opinion qui met le niveau de la mer au-dessus de la terre ferme que se dresseront les premières propositions de Buridan.

« Cette question n’est pas facile ; elle touche à beaucoup de matières très profondes ; elle soulève nombre de doutes et de questions ; je vais poser, toutefois, quelques conclusions qui me sont propres et me sont bien connues, encore qu’elles puissent paraître étranges.

» Voici la première de ces conclusions : Les montagnes élevées que nous avons, comme les monts de Régordane (Ricordania) ou de Savoie, comme le Mont Ventoux (Mons ventosus) et autres semblables, s’élèvent au-dessus de la mer, droit vers le ciel, de plus de quatre lieues de France ; et cependant Aristote nous conte qu’il y a dans d’autres pays des montagnes beaucoup plus élevées.

» Pour que cette conclusion devienne évidente à qui prend la peine de la considérer, il suffit de l’expérience et de la faculté d’imaginer les mesures.

» Du pied du Mont Ventoux, où se trouve le village de Bédouin (Debedouin), jusqu’au sommet de la montagne, on monte pendant quatre lieues de Provence, qui valent six lieues de France ; et cette montée est si raide que trois pieds de chemin font plus d’un pied de hauteur véritable ; le Mont Ventoux s’élève donc de deux lieues au-dessus de la plaine qui le continue.

» D’autre part, de la terre réputée plate qui est au pied de ces montagnes, coulent des fleuves, tels que la Loire, tels que l’Allier, affluent de la Loire, qui parcourent deux cents lieues de France avant de tomber à la mer ; et cependant, toutes les fois, que vous prendrez cinquante pieds de la longueur de leur cours, vous verrez que le premier de ces pieds est d’un pied plus élevé que le dernier ; si, en quelque endroit, vous trouvez une moindre pente, ailleurs vous en trouverez une plus forte, comme vous le pourrez connaître à l’aide d’un niveau. Mais