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LES PETITS MOUVEMENTS DE LA TERRE

pas reconnaître, dans ces dernières lignes, une phrase empruntée à Théophraste par le Pseudo-Philon : « Ces terres présentaient des régions riches et nullement stériles, comme on l’a reconnu lorsqu’on a entrepris de les ensemencer et d’y planter des arbres ? »

Il semble donc fort probable que le traité Du Monde, attribué à Philon d’Alexandrie, ait été connu d’Albert le Grand.

Au sujet des changements de figure des continents et des mers, ce traité empruntait à Théophraste un enseignement très semblable à celui d’Aristote ; c’est ce même enseignement qu’Albert développe dans le chapitre que nous venons de citer. Ces changements de figure sont dus surtout aux transformations que subit le régime des pluies aux divers lieux de la terre. « Mais la cause de tout cela, c’est le mouvement du Soleil et la révolution de la sphère céleste, celle-ci agit surtout par ses grandes révolutions, par les révolutions qui ramènent la conjonction de toutes les planètes ou la conjonction des planètes supérieures, ou par la révolution des étoiles fixes. C’est par ces causes, en effet, qu’adviennent au Monde les grands changements… Mais, comme nous l’avons déjà dit, ces changements n’ad viennent pas… simultanément en tous lieux ; ils affectent un lieu après un autre lieu… La cause de ces changements est celle que nous avons dite ; la cause propre n’en peut être connue que par la Science astronomique que nous achèverons avec l’aide de Dieu. »

Comme Aristote, comme Théophraste, Albert croit à une permutation entre les terres fermes et les mers ; mais, pas plus qu’eux, il ne craint la disparition totale des Océans ni l’entière submersion des continents. Il va nous le dire dans sa réponse à ces deux questions[1] : La mer a-t-elle, autrefois, couvert la terre entière ? Peut-il arriver qu’au cours des temps, elle se dessèche totalement ? Comme les deux philosophes grecs, il répond à ces questions par la négative : « Ce que nous avons dit prouve que, selon la nature (ces mots excluent le déluge universel, qui fut miraculeux) la mer n’a jamais recouvert la terre entière ; cela prouve aussi que, selon la nature, la mer ne sera jamais desséchée ; elle demeurera toujours égale à elle-même. »

  1. Alberti Magni Op. laud., lib. II, tract. III, cap. II : Et est digressio declarans an aqua aliquando totam terram operuit et an siccabilis est per totum procedente tempus.