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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

« Certains hommes, dit-il[1], parmi ceux qui ont composé des discours, prétendent que la mer a changé de place à la surface de la sphère terrestre et qu’il n’est, sur la terre, aucun lieu qui n’ait été autrefois sous les eaux. Ils fondent leur opinion sur les empreintes (ex præssionibus (?)) qu’on voit au sommet des montagnes. Un de ces hommes raconte qu’en creusant un puits, lorsqu’il parvint à la couche argileuse, il trouva une argile compacte et dure ; il continua de creuser cette argile, et il y découvrit un gouvernail de navire ; par là, il fut assuré que la mer, autrefois, avait été en cet endroit, qu’elle change donc de place très lentement et suivant de très longues périodes. »

Si ce changement de place était réel, déclare le Pseudo-Aristote, il serait sûrement déterminé par quelqu’une des révolutions astrales ; alors, par une discussion que nous avons rapportée en son temps[2], il montre que même la plus lente des révolutions célestes, celle qui, au bout de trente-six mille ans, ramène les étoiles fixes à leur position première, est encore beaucoup trop rapide pour s’accorder avec le témoignage de l’histoire ; ce dernier nous montre, en effet, des rivages qui, depuis des milliers d’années, n’ont subi aucun déplacement sensible.

« Ce que nous avons dit dans ce traité, conclut notre auteur, détruit donc manifestement et pleinement, la théorie selon laquelle la mer aurait changé de place à la surface de la terre ; l’erreur de ceux qui ont admis cette opinion est maintenant évidente.

« Certains philosophes, poursuit le Pseudo-Aristote[3], prétendent que la terre, au moment de sa formation, était parfaitement ronde et qu’il ne s’y rencontrait ni vallée ni montagne ; sa figure était alors exactement sphérique comme celle des corps célestes. Les vallées et les montagnes que nous voyons à la surface de la terre n’ont pas d’autre cause que l’action des eaux. Les eaux ont creusé les parties de la terre qui étaient les moins compactes, et ainsi se sont formées les montagnes ; ces régions peu compactes, une fois creusées, sont devenues les lits des mers.

» Je prétends que ceux qui tiennent ce discours et qui admettent cette théorie en viennent à partager l’avis de ceux

  1. Aristotelis Liber de proprietatibus elementorum, éd. cit. fol. 466 (marqué 366), verso.
  2. Voir : Première partie, ch. XII, VI ; t. II, pp. 226-228.
  3. Aristote, Op. laud. ; éd. cit., fol. 469 (marqué 369), recto.