Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
249
LES PETITS MOUVEMENTS DE LA TERRE

Strabon nous apprend qu’Ératosthène « approuvait l’opinion du physicien Straton. » Comme celui-ci donc, il admettait rabaissement continuel du niveau des mers méditerranéennes, du Palus Méotide aux Colonnes d’Hercule, et le courant constant, dirigé de l’Est à l’Ouest, qui résulte de cette dénivellation. Il opposait cet enseignement, c’est encore Strabon qui nous l’apprend[1], à celui d’Archimède ; car Archimède, dans son premier livre Sur les corps flottants, avait démontré cette proposition : « En tout fluide disposé de telle façon qu’il demeure immobile, la surface a la figure d’une sphère concentrique à la terre. » Mais Archimède et Êratosthène avaient également raison ; le premier avait formulé une condition d’équilibre ; il n’était point juste d’exiger que la surface des mers remplit cette condition, puisque, d’après les observations déjà connues d’Aristote, ces mers sont le siège d’un perpétuel courant. C’est, d’ailleurs, aux différences de niveau, de sens alternativement variable, que la Lune détermine entre deux mers unies par un détroit qu’Ératosthène, nous l’avons vu[2], attribue fort justement les courants de marée qui parcourent un tel détroit, tantôt dans une direction et tantôt dans l’autre.

Contre les hypothèses que Straton de Lampsaque avait héritées d’Aristote, qu’il avait transmises à Ératosthène, Strabon développe une pressante argumentation[3].

Il reproche à Straton de s’imaginer que « ce qui a lieu pour les fleuves ait lieu aussi pour la mer, en sorte qu’il y ait écoulement des parties les plus élevées vers les plus basses ».

Il ne croit pas que les dépôts d’alluvion puissent combler la mer. « La terre que les fleuves apportent ne s’avance pas en mer ; la cause en est que la mer, par un flux en sens contraire, la rejette sur le sol ferme. De même, en effet, que les animaux présentent un mouvement alternatif et continuel d’inspiration et d’expiration, de même la mer éprouve, sans aucune trêve, un mouvement d’oscillation qui la fait rentrer en elle-même, puis sortir d’elle-même. Celui qui se tient à la lisière même de la partie de la plage que baigne la mer peut sentir ce mouvement ; ses pieds sont recouverts par l’eau, puis découverts, puis recouverts de nouveau, et ainsi de suite. L’onde, d’ailleurs, s’avance en formant des flots, même lorsque le calme est parfait. Au moment où elle se brise sur le rivage, elle a une plus grande

  1. Strabon, Géographie, livre ï, ch. III, § 11 ; éd. cit., pp. 45-46.
  2. Voir : Première partie, ch. XIII, § II ; t. II, p. 271.
  3. Strabon, Géographie, livre I, ch. III, § 520 ; éd. cit.