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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE


II
LA GÉOLOGIE D’ARISTOTE ET DE THÉOPHRASTE


Pour Aristote, il n’existe qu’un seul Monde qui est éternel. Les orbes célestes, incapables de changement, sont ce qu’ils ont toujours été et ce qu’ils seront toujours. Quant au Monde sublunaire, il s’y produit assurément, et sans cesse, des générations, des altérations, des corruptions, mais il n’a pas commencé d’exister et jamais il ne sera détruit. Sans doute, la mer a délaissé certaines terres ; mais ces retraits de la mer, restreints en d’étroites limites et compensés, d’ailleurs, par des effets de sens inverse, ne prouvent nullement que F Univers marche vers un embrasement général.

Aristote étudie[1] quelques exemples de ces déplacements de la terre ferme et des mers ; il insiste tout particulièrement sur les faits que présente le Delta du Nil ; il montre comment, depuis les temps historiques, le Delta n’a cessé de s’assécher de plus en plus. « Ce qui arrive en cet endroit restreint, dit-il, il est à croire que cela se produit aussi en des lieux plus étendus et même en des pays entiers.

» Ceux donc qui ne savent regarder que les petites choses assignent comme cause à ces changements la transformation de l’Univers et, pour ainsi dire, la naissance du Ciel ; aussi prétendent-ils que la mer diminue sans cesse, par cela seul que certains terrains se sont asséchés et qu’on voit aujourd’hui plus de terres émergées qu’on n’en voyait autrefois.

» Mais si leur affirmation est en partie vraie, elle est aussi en partie fausse ; sans doute, bien des lieux qui étaient autrefois submergés sont, maintenant, terre ferme ; mais la transformation contraire se produit également ; ceux qui voudront bien tourner leur attention de ce côté verront qu’en bien des endroits, la mer est venue recouvrir la terre.

» N’allons pas prétendre, cependant, que ces changements sont dus à ce fait que le Monde a commencé. Il est ridicule d’invoquer un changement de tout l’Univers pour expliquer de petites choses qui ne pèsent pas plus qu’une plume. »

Aristote ne croit pas que la durée du Monde soit mesurée par la Grande Année ; qu’un Monde naisse au commencement

  1. Aristote, Météores, livre I, ch. XIV.