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LES PETITS MOUVEMENTS DE LA TERRE

terre ferme ; telle est la pensée qui, de très bonne heure, s’est offerte à l’esprit des curieux de la nature ; de très bonne heure, aussi, les philosophes se sont emparés de cette pensée et y ont trouvé argument en faveur de leurs systèmes cosmogoniques.

Beaucoup d’entre eux pensaient[1] que la vie de l’Univers était rythmée par une certaine période, la Grande Année, qui, suivant une alternative éternelle, faisait passer le Monde par un Grand Été et par un Grand Hiver, le détruisait par un embrasement général pour le régénérer par un déluge universel. La présence des coquilles fossiles sur les continents et jusqu’au sein de rochers haut perchés sur le flanc des montagnes montrait clairement que les mers étaient, autrefois, beaucoup plus étendues qu’elles ne sont aujourd’hui, qu’elles allaient donc se desséchant et se consumant ; n’était-ce pas la preuve que le Monde, engendré dans le κατακλυσμὸς, marchait vers l’ἐκπύρωσις qui le devait anéantir ?

De ceux qui tenaient ce raisonnement, Alexandre d’Aphrodisias nous dit quelques mots[2] : « Quelques physiciens prétendent que la mer est ce qui reste de l’eau primordiale. En effet, à l’époque où la région qui entoure la terre était toute entière occupée par l’eau, les parties superficielles de cette eau furent transformées en vapeurs par la puissance du Soleil, et les vents naquirent de là… Mais une partie de l’eau demeura aux lieux les plus creux de la terre ; c’est cette partie qui est, aujourd’hui, la mer. Aussi la mer continue-t-elle à décroître, car le Soleil la dessèche peu à peu, en’sorte qu’un temps viendra enfin où la mer sera entièrement à sec. Théophraste rapporte qu’Anaximandre et Diogène ont soutenu cette opinion. »

Or Anaximandre très probablement[3], et Diogène d’Apollonie très certainement[4] croyaient à la succession éternelle d’une infinité de Mondes dont chacun devait être anéanti par un embrasement général pour faire place au Monde suivant.

  1. Voir : Première partie, ch. II, § X ; t. I, pp. 65-85.
  2. Alexandri Aphrodisiensis In Aristotelis Meteorologicorum libros commentaria. Edidit Michael Hayduck. Berolini, MDCCCIC. Lib. II, cap. I, p. 67.
  3. Voir : Tome I, p. 70.
  4. Voir : Tome I, p. 71 et p. 74.