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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Les débris fossiles d’êtres vivants, en particulier, les coquilles si délicatement conservées qu’on observe en beaucoup de terrains ont dû, de très bonne heure, attirer l’attention des hommes et leur suggérer la pensée que certaines terres fermes avaient, autrefois, formé le fond de la mer. La plus ancienne observation de ce genre dont le souvenir nous ait été conservé est due à l’historien Xanthus de Lydie, qui vivait soit au vie siècle, soit plus probablement, au ve siècle avant Jésus-Christ. Cette remarque de Xanthus nous est connue par Strabon.

« Xanthus, dit Strabon[1], avait rapporté qu’une grande sécheresse s’était produite au temps d’Artaxerxès ; les lacs et les fleuves avaient été desséchés, les puits avaient tari ; il avait alors observé çà et là, fort loin de la mer, des pierres qui reproduisaient la forme de coquillages, de pétoncles ou de chéramydes ; il avait également observé un lac salé en Arménie et un autre dans la Phrygie inférieure ; par ces raisons, il avait été persuadé que ces pays étaient autrefois une mer. »

Hérodote, après Xanthus, avait fait des observations semblables : « Au-dessus de Memphis, dit-il[2], l’intervalle entre les deux chaînes de montagnes est visiblement, à mes yeux, un ancien golfe de la mer, comme les terres qui entourent Ilion et Éphèse, ou comme la plaine du Méandre ; aucun des fleuves qui ont déposé ces dernières alluvions n’est comparable au Nil… Il y a encore des fleuves, beaucoup moins considérables que le Nil, dont le travail est apparent ; je ne citerai que l’Achéloüs qui, se jetant dans la mer des Échinades (golfe de Patras), a déjà réuni au continent la moitié de ces îles… Je pense qu’à l’origine, l’Égypte a pu être un golfe de ce genre, portant jusqu’en Éthiopie les eaux de la Méditerranée… J’en ai pour preuves les coquillages qui se trouvent dans lès montagnes, la saumure partout efflorescente…, le sol de l’Égypte qui est noir et friable comme du limon, comme une alluvion entraînée de l’Éthiopie par ce fleuve, tandis qu’à notre connaissance, le sol de la Lybie est plus rouge, plus sablonneux, et celui de l’Arabie et de la Syrie plus argileux, plus caillouteux. »

La présence de coquilles dans les pierres et les roches attestent que d’antiques mers ont résidé où se trouve actuellement la

  1. Strabon, Géographie, livre I, ch. III, § 4. L’importance de ce chapitre da Strabon pour l’histoire de la Géologie a été signalée par M. L. de Launay, La Science géologique, Paris, 1905, p. 50.
  2. Hérodote, Histoire II, 10. Nous empruntons la traduction à M. L. de Launay, Op. laud., p. 45.