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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

gine la terre hors de son lieu naturel et l’eau au centre du Monde ; puis que la terre descende ; avant que son centre ne parvînt au centre du Monde, elle serait entièrement submergée, puisqu’on la suppose moins volumineuse que l’eau.

» On pourrait prétendre que la terre se trouve placée d’un côté du centre du Monde et que l’eau lui fait contre-poids de l’autre côté. Mais s’il en était ainsi, la mer irait sans cesse en s’approfondissant, au fur et à mesure qu’on s’éloigne des côtes, ce qui est contraire à l’expérience.

» En second lieu, la terre tend naturellement à se placer au-dessous de l’eau ; en sorte que l’eau placée de l’autre côté du centre du Monde ne saurait lui faire contre-poids.

» Enfin l’agrégat formé par la terre et par l’eau ne serait pas sphérique. Cette conséquence est fausse, car nous voyons, dans les éclipses, que l’ombre de cet agrégat a la forme d’un cercle. Or, d’autre part, la conséquence découlerait évidemment, des prémisses si l’eau était plus considérable que la terre et que celle-ci émergeât en partie. »

Le Pseudo-Duns Scot reprend cette discussion, d’une manière plus approfondie, dans la question qu’il formule ainsi : « La mer coule-t-elle sans cesse du Nord vers le Sud ? »

Au second article de cette question, en effet, il se demande[1] « si la mer est le lieu naturel des eaux », ce qui l’amène à rechercher quels sont les lieux naturels de la terre et de l’eau. Parmi les difficultés qu’il examine, en voici une, qui est la quatrième : « Ou bien l’eau, dans son mouvement, tend au même lieu naturel que la terre, ou bien non ; de la première supposition, il résulterait que le centre de la terre est le lieu naturel de l’eau comme il l’est de la terre ; de la seconde il résulterait qu’en ce monde, toute gravité ne tend pas au même centre. »

L’argumentation par laquelle notre auteur entend résoudre cette difficulté mérite d’être citée en entier, car elle donne lieu à plus d’une remarque intéressante ; la voici :

« Au sujet du quatrième argument, une grande difficulté se présente.

» Campanus, au cinquième chapitre de son Traité de la sphère, imagine que la terre se trouve, de notre côté, élevée au-dessus du centre du Monde, et que l’eau, placée de l’autre côté, lui fait contre-poids ; la gravité terrestre et la gravité de l’eau ont donc des centres différents. Il suppose que la terre

  1. Joannis Duns Scoti Op. laud., lib. II, quæst. I, art. II ; éd. cit., pp. 62-63.