Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

que Saint Thomas étudie avec plus de précision l’action de la Lune sur les eaùx de la mer[1].

« Qu’un agent inférieur, dit-il, agisse ou soit mû par la vertu d’un agent supérieur, cela peut être de deux façons.

» D’une première manière, l’action procède de l’agent inférieur selon une certaine forme ou vertu qui lui a été imprimée par l’agent supérieur ; ainsi la Lune éclaire grâce à la lumière qu’elle a reçue du Soleil.

» D’une autre façon l’agent inférieur agit par la seule vertu de l’agent supérieur, sans avoir reçu lui-même, pour exercer cette action, aucune vertu ; il est simplement mû par le mouvement de l’agent supérieur. Ainsi en est-il quand un charpentier emploie une scie à couper du bois ; la section du bois est, principalement, action de l’ouvrier ; elle est action de la scie d’une manière secondaire, en tant que cette scie est mise en mouvement par l’ouvrier ; cette action de la scie ne résulte pas d’une certaine forme ou vertu qui demeurerait dans la scie après que llouvrier aurait cessé de la mouvoir.

» Si donc un corps élémentaire participe à quelque action ou mouvement grâce aux agents supérieurs, cela ne peut être que de l’une des deux manières susdites ; ou bien cette action doit être la conséquence de quelque forme ou vertu imprimée dans le corps élémentaire par les agents supérieurs ; ou bien cette action résulte simplement de la mise en mouvement du corps élémentaire par les dits agents.

» Les agents supérieurs, qui sont au-dessus de la nature des éléments et de leurs composés, ce ne sont pas seulement les corps célestes ; ce sont àussi les substances séparées supérieures. De celles-ci comme de ceux-là proviennent des actions qui portent sur les corps d’ici-bas, qui ne procèdent point de quelque forme imprimée dans ces derniers corps, mais seulement de la mise en mouvement de ceux-ci par les agents supérieurs.

» Lorsque l’eau de la mer flue et reflue, elle est douée d’un mouvement ; ce mouvement n’est pas naturel à l’élément de l’eau (prœter proprietatem elementi) ; il provient de la vertu de la Lune ; il n’en provient pas par l’intermédiaire de quelque forme qui serait imprimée à l’eau ; mais il provient simplement d’une force motrice (motio) de la Lune, d’une force par laquelle la Lune met Feau en mouvement. »

  1. S. Thomæ Aquinatis Opuscula. Opusc. XXXIV : De occultis operibus naturæ, ad quendam militem.