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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

de gravité de la terre ne coïncide pas avec son centre de grandeur.

» Ces suppositions faites, on imagine que la terre plonge dans l’eau comme une colonne, dont la partie inférieure serait, de toutes parts, entourée d’eau, tandis que l’autre partie émergerait et formerait ce qu’on nomme la terre ferme. Supposons, par exemple, qu’un de ces clous qui servent à ferrer les chevaux (clavus equi) se trouve en équilibre au centre de la terre ; il n’y aurait qu’une faible longueur de ce clou d’un côté du centre, savoir, du côté où se trouve la tête, et cela parce que la tête est beaucoup plus lourde que le reste du clou. Eh bien, on suppose que la terre est placée de même par rapport au centre et sous l’eau. »

À cette explication, Marsile va-t-il accorder la faveur que ses contemporains ne lui ont pas marchandée ? Point du tout. Il la rejette, et voici pourquoi :

« Si la terre surpassait ainsi le niveau de l’eau, toute eau qui se trouve sur la terre ferme s’écoulerait continuellement vers les autres eaux, vers celles au-dessus desquelles s’élève la terre. Or cette conséquence est contraire à l’expérience, car les mers ne se meuvent nulle part, mais demeurent en repos dans les concavités de la surface terrestre. »

Marsile n’avait pas assez étudié l’enseignement de son maître Jean Buridan ; de celui-ci il eût appris que les mers partielles qui découpent les continents résident au fond de vallées creusées dans la terre ferme, et se trouvent de niveau avec l’Océan.

Notre auteur arrive enfin à la doctrine qui a ses préférences :

« La cinquième solution, dit-il, est la suivante : L’eau est beaucoup moins volumineuse que la terre ; elle occupe seulement certains bassins concaves creusés à la surface de la terre (concavitates terræ). Voici ce qui le démontre : Connaissant la grandeur et le diamètre de la terre, on peut, par l’Astronomie, trouver la grandeur de l’ombre qui serait, dans une éclipse de Lune, produite par la terre seule ; or, en fait, on ne trouve pas qu’en une éclipse de Lune, l’agrégat de la terre et de l’eau cause une plus grande ombre que celle qui serait produite par la terre seule ; or il en serait nécessairement ainsi si l’eau n’était pas contenue dans la terre et était plus grande que la terre.

» Il résulte de là que les volumes des quatre éléments ne se suivent pas dans un rapport constant ; l’eau, en effet, est beaucoup plus petite que la terre, tandis que cette progression géométrique la suppose plus grande. »

La doctrine qui vient de nous être proposée et l’argument