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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

partie de la terre recouverte par les eaux ne pèse pas plus à Fencontre de l’autre partie que si ces eaux ne la recouvraient pas. »

Voilà donc qu’Albert de Saxe s’est rallié avec une grande netteté à l’opinion qu’avaient admise Jean de Jandun, Nicolas Bonet et Jean Buridan.

Pour justifier la théorie qu’il avait révoquée en doute dans ses Questions sur la Physique et qu’il adopte dans ses Questions sur le Traité du Ciel, Albert de Saxe doit, à son tour, examiner ce problème que Jean de Jandun et Nicolas Bonet résolvaient en des sens différents : Un élément continue-t-il d’être pesant quand il réside en son lieu propre. Ce problème, il l’analyse plus soigneusement qu’aucun de ses prédécesseurs ne l’avait fait ; des solutions contradictoires qu’ils en avaient proposées, il pense montrer l’accord à l’aide d’une distinction.

« Pour répondre à cette question, dit-il[1], je pose d’abord une distinction qui est la suivante : Le mot gravité peut être pris de deux façons. D’une première manière, il peut être pris pour une certaine disposition habituelle et potentielle qui résulte de la forme du grave, que cette disposition, d’ailleurs, détermine ou non une disposition actuelle au mouvement ; cette gravité-là se nomme gravité habituelle ôu potentielle. D’une autre manière, gravité se prend pour une disposition qui, d’une manière actuelle, incline au mouvement ; cette gravité-ci s’appelle gravité actuelle…

» Voici alors notre première conclusion : En quelque lieu que se trouve un élément pesant, il possède sa gravité habituelle. Cette gravité, en effet, est une qualité qui résulte de la forme substantielle du corps pesant ; pour l’enlever et supprimer, le mouvement local ne suffit pas ; il faudrait que la forme substantielle fût corrompue…

» Seconde conclusion. En son lieu propre, un élément pesant possède la gravité habituelle. Cela résulte de la conclusion précédente. Cela se peut aussi prouver comme suit : La qualité par laquelle un élément est mû vers son lieu propre lorsqu’il se trouve hors de ce lieu est aussi celle en vertu de laquelle il demeurera naturellement en repos dans son lieu propre quand il l’aura atteint ; or, pour un élément pesant, cette qualité, c’est la gravité ; c’est par sa gravité qu’un tel élément se meut

1. Alberti de Saxonia Quæstiones in libros de Cælo et Mundo, lib. III, quæst, III.

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