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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — II

vallées ou dans des parties concaves de la terre ; au-dessous d’elles, la terre est déprimée par rapport à sa sphéricité, comme il arrive pour les étangs ; ces mers, en effet, sont immédiatement en contact avec la partie la plus légère et la plus élevée de la terre ; si donc la terre était parfaitement sphérique, si, à l’endroit où se trouvent ces mers, sa surface ne présentait aucune dépression, ces mers s’écouleraient aussitôt vers le lieu où se trouvent les océans. »

Il n’est pas utile, en général, de commenter Buridan ; ce qu’il veut dire, il le dit avec une clarté et un ordre parfaits ; ainsi en est-il dans le morceau qu’on vient de lire ; il reprend la distinction qu’Alexandre d’Aphrodisias avait établie entre les deux centres, l’un de grandeur et l’autre de gravité, qu’il faut attribuer à la terre ; mais, fort ingénieusement, il en tire ce que le philosophe grec n’en avait point déduit, une solution mécanique de cette question : Pourquoi Feau ne recouvre-t-elle pas la terre en son entier ?

Un seul point retiendra notre attention.

Buridan admet, à l’exemple d’Alexandre, que le point qui occupe le centre du Monde, c’est le centre de gravité de la terre ; ajoutons, pour préciser sa pensée, de la terre seule ; nous ne voyons pas qu’il se préoccupe, pour définir ce centre de gravité, de l’eau qui recouvre une partie de la terre ; et les considérations qui justifient sa quatrième conclusion semblent bien prouver qu’à son gré, l’équilibre de la terre autour du centre du Monde ne dépend en aucune façon de la présence et de la distribution de l’eau à la surface de la terre.

Évidemment, Buridan admet que l’eau n’est point grave lorsqu’elle est en son lieu et que la mer n’exerce aucune pression sur la terre sous-jacente.

Que le philosophe de Béthune professe, en Hydrostatique les idées erronées que les Héron d’Alexandrie et les Ptolémée ont proposées, nous n’en saurions douter ; ne l’avons-nous pas entendu, lorsqu’il disait[1] : « Dans une grande masse d’eau continue, une partie n’aspire pas à descendre au-dessous d’une autre partie, si elles ont toutes deux même degré de pesanteur ou de légèreté. Voilà pourquoi un marin qui descend au fond de la mer ne sent pas la pesanteur de l’eau, bien qu’il en ait sur.les épaules cent tonnes ou mille tonnes ; cette eau, en effet, qui se trouve au-dessus de lui, ne tend pas à descendre davan-

  1. Voir : § précédent, p. 191.