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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

en effet, c’est un point tel qu’il y ait autant de pesanteur d’un côté que de l’autre ; et cela ne serait pas ici, car l’hémisphère que la mer recouvre serait plus pesant ; il faut donc que le centre de gravité soit distant du centre de grandeur, puisque, de part et d’autre de celui-ci, il n’y a pas égale pesanteur.

» Troisième conclusion. De là il résulte que le volume terrestre n’est pas concentrique, mais excentrique au Monde. On nomme, en effet, concentrique au Monde ce dont le centre coïncide avec le centre du Monde ; or le centre de grandeur de la terre n’est pas le centre du Monde ; c’est le centre de gravité de la terre qui est le centre du Monde, car c’est en raison de sa pesanteur, et non de sa grandeur, que la terre occupe le lieu central ; c’est en vertu de sa pesanteur qu’elle s’équilibre au centre du Monde comme deux poids égaux se font, l’un à l’autre, équilibre dans une balance, bien que leurs volumes soient inégaux.

» Quatrième conclusion. Lors même que la terre tout entière serait rendue parfaitement sphérique, comme il arriverait si, demain, Dieu prenait les montagnes pour combler les vallées, la partie que la mer recouvre aujourd’hui n’en continuerait pas moins d’être recouverte, et la partie qui est découverte resterait découverte. Il y a plus ; si Dieu, après avoir ainsi donné à la terre la figure sphérique, disposait la mer, sous forme d’une couche sphérique, tout autour de cette terre, et s’il permettait ensuite à l’eau de s’écouler comme l’exigent la nature et la pesanteur de ce corps, l’eau ne cesserait de s’écouler de la partie qui est maintenant découverte vers l’autre partie, jusqu’au moment où elle se trouverait rassemblée là où elle est à présent ; en sorte que la partie qui est maintenant découverte se trouverait découverte derechef. En voici la cause : L’eau coule toujours au plus bas lieu, c’est-à-dire au lieu le plus rapproché du centre du Monde ; or la surface de l’hémisphère le plus pesant se trouverait ainsi plus bas placée et la surface de l’hémisphère le plus léger serait plus haute ; la mer, donc, délaisserait la partie la plus élevée pour couler vers la plus basse.

» De là suit ce corollaire : Il n’est pas nécessaire d’imaginer que les océans (magnum mare) résident dans une vallée ou dans une partie concave de la surface terrestre ; ils recouvrent la partie la plus basse de cette surface, et ils la recouvriraient encore, si la terre entière était parfaitement sphérique et ne présentait aucune partie concave. Mais touchant les mers partielles, force est de concéder qu’elles se trouvent dans des