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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

de la terre ou à peu près se trouve seul non recouvert par l’eau. »

Nous reconnaissons ici la théorie qu’admettaient Guillaume d’Auvergne et Ristoro d’Arezzo.

Buridan lui fait cette objection :

« Ce monde est, il est vrai, régi par Dieu ; mais à Dieu, le ciel sert d’intermédiaire ; si nous voulons parler en physiciens (naturaliter), il faudrait donc assigner au ciel la cause de cette excentricité. On ne peut, en effet, l’assigner convenablement à la terre, dont les parties sont semblables entre elles et homogènes ; on ne la peut, non plus, assigner à l’eau, et cela pour la même raison. Mais on ne la peut attribuer au ciel mobile, car il tourne uniformément et indifféremment autour de la terre comme autour de l’eau[1] ; on ne saurait donc mettre à son compte la raison pour laquelle le centre de l’eau se trouve hors du centre de la terre d’un côté plutôt que de l’autre. »

Cette objection, il est vrai, ne causait guère d’embarras à certains physiciens astrologues ; ils en étaient quittes pour attribuer le maintien de la terre ferme à l’Empyrée immobile, et c’est même une des raisons qu’ils invoquaient en faveur de l’existence de cet Empyrée. Buridan va nous l’apprendre[2] :

« On dit habituellement que l’équateur divise la terre en deux hémisphères et que l’hémisphère antarctique est inhabitable. L’autre hémisphère, un grand cercle mené par le pôle le divise en deux quartiers ; l’un de ces deux quartiers est habitable, car nous l’habitons ; l’autre est inhabitable parce que l’eau le recouvre.

» Mais la terre est gouvernée par le ciel ; si donc notre quartier est, plus que l’autre, habité et non couvert d’eau, cela doit provenir de la part du ciel. Or on n’en peut rendre raison ni cause au moyen d’un ciel mobile, car uniformément, les mêmes parties du ciel et les mêmes astres tournent au-dessus de ce quartier-ci et de celui-là. Il en faut donc attribuer la cause à un ciel immobile dont une partie, celle qui est au-dessus de nous, exerce son influence et sa domination en vue du salut des animaux et des plantes, tandis que l’autre partie commande surtout au rassemblement des eaux. »

« Pour cette raison, dit encore Buridan[3], on a proposé une

1. Cette argumentation semble un résumé de la discussion semblable donnée par la Quœstio de Aqua et Terra attribuée à Dante Alighieri. Vide supra, pp. 161-163.

2. Johannis Buridani Op. laud., lib. II, quæst. VI : Sexto queritur utrum sit ponendum celum quies cens supra celos motos ; ms. cit., fol. 86, col. c.

3. Johannis Buridani Op. laud., lib. II, quæst. VII ; ms. cit., fol. 87, col. d.

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