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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — II

le centre du Monde est le centre de l’une et de l’autre. Mais ils ajoutent qu’en chacun des quartiers de la terre, se trouvent un grand nombre de places que l’eau ne couvre pas, parce que la terre présente un grand nombre de bosses et d’élévations semblables à des montagnes qui dépassent l’eau. En revanche, prétendent-ils, beaucoup d’autres parties de la terre sont recouvertes par l’eau car, entre ces élévations, elles forment des dépressions semblables à des vallées. Il en est ainsi, assurent-ils, en chacun des quartiers de la terre ; ce qui le prouve, c’est qu’en partant d’une terre ferme de vaste étendue, nous traversons une mer très longue et très large pour arriver à une autre grande région découverte ; il est vraisemblable qu’il en serait constamment de même, si l’on faisait le tour du Monde.

» Mais cette opinion donne lieu à deux grands sujets de doute, dont voici le premier :

» Toutes les mers que quelque homme a pu traverser et toutes les terres habitables qui ont pu être découvertes sont contenues dans le quartier que nous habitons ; certains se sont efforcés de traverser la mer pour parvenir à d’autres quartiers ; jamais ils y ont pu parvenir à quelque terre habitable ; aussi dit-on qu’Hercule, aux confins du quartier que nous habitons, a placé des colonnes pour signifier qu’au-delà, il n’y a plus ni terre habitable ni mer qu’on puisse traverser. »

Cet argument conduirait à supposer que les gibbosités par lesquelles la terre dépasse la surface de l’eau se trouvent seulement dans le quart de la surface terrestre où nous résidons ; il mènerait ainsi à reprendre la théorie de Gilles de Rome.

« Il y eut donc une autre opinion. Au gré de celle-ci, pour le salut des animaux et des plantes, Dieu et la nature ont ordonné de toute éternité que l’eau fût excentrique au Monde. Le centre de la terre serait donc le centre du Monde, mais le centre de l’eau serait hors du centre dû Monde. Ainsi1, disent les partisans de cette opinion, l’eau coule toujours au lieu qui est le plus bas à l’égard du centre propre de l’eau, et non pas à l’égard du centre de la terre et du Monde. Ainsi une partie de la terre, qui en est à peu près le quart, peut demeurer à sec, tandis que les autres quartiers sont recouverts par l’eau. Ceux qui pensent de la sorte expliquent ainsi comment un quart

1. Le texte dit. : Et sic dicunt aquam semper defluere ad locum decliviorem in respectu centri terræ et mundî, sed non respectu centri proprii aquæ. Il est clair que la suite logique des pensées veut qu’on reporte le mot : non avant les mots : ad locum decliviorem.