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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

vivement, comme nous le verrons, la raison de Nicole Oresme, a bien pu s’offrir parfois à l’esprit du Philosophe de Béthune ; il ne semble pas qu’il y ait adhéré. La théorie qu’il propose clairement, dans ses Questions sur la Physique, c’est celle qu’Albert le Grand avait ébauchée et dont Nicolas Bonet avait donné la formule rigoureuse.

« L’air ou l’eau, écrit-il[1], peut, à l’égard de la terre, être appelé lieu naturel ou convenable dans deux sens différents ; d’une première manière, ce nom peut être donné en considération des qualités élémentaires, qui sont le chaud et le froid, le sec et l’humide, et des qualités secondes qui en sont les conséquences ; d’une autre façon, ce nom peut être donné en considération des vertus et influences que l’élément reçoit des corps célestes ; ces vertus et influences diffèrent selon que l’élément est plus ou moins voisin du ciel. Selon que la distance au ciel est petite ou grande, le ciel influe de près ou de loin, et l’influence qui vient de près convient à un élément, tandis que l’influence qui vient de loin convient à un autre élément. Il est dit, au premier livre des Météores, que ce monde-ci est relié d’une manière continue aux circulations célestes et qu’ici-bas, toute force est gouvernée par le ciel. Le ciel, donc, dans le corps qui le touche immédiatement, influe la vertu qui convient au feu, tandis que dans le corps qui se trouve le plus éloigné, il influe la vertu qui convient à la terre ; dans les corps intermédiaires, il influe les vertus qui conviennent à l’air et à l’eau.

» Et voici ce qu’il faut remarquer : De même que Dieu et la nature ont donné aux éléments des qualités actives et passives par lesquelles ils puissent se mêler entre eux et se changer les uns en les autres, en vue de la génération des animaux et des plantes, qui sont la fin à laquelle les éléments sont ordonnés, de même Dieu et la nature ont doué les éléments de gravités et de légèretés à l’aide desquelles chacun d’eux fût mû vers le lieu qui lui convient le mieux en raison de la distance, petite ou grande, qui le sépare du ciel. Ainsi le feu se meut pour résider au-dessus de tous les autres éléments et la terre pour se trouver au-dessous de tous ; l’air se meut pour être au-dessous du feu et au-dessus de l’eau, l’eau pour être au-dessous du feu et de l’air et au-dessus de la terre.

  1. Johannis Buridani Subtilissime questiones super octo phisicorum libros Aristotelis, lib. IV, quæst. V : Utrum terra sit in aqua sive in superficie aquæ tanquam in loco suo proprio et naturali. Ed. 1509, fol. lxxi, col. d.