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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — II

de ses parties ne se trouve au-dessus de l’eau, de l’air ou du feu, cette masse entière de la terre n’a plus aucune inclination à descendre davantage ; elle tend seulement à demeurer en repos là où elle se trouve ; et il en est de même de chacune de ses parties. Lorsqu’au contraire une partie de la terre se trouve au-dessus d’une certaine partie de l’eau, de l’air ou du feu, alors cette partie a inclination à venir se placer au-dessous de cette eau, de cet air ou de ce feu. Mais le reste de la terre, qui ne se trouve au-dessus d’aucune partie de l’eau, de l’air ou . du feu, est beaucoup plus grande ; elle a, pour résister, une puissance qui surpasse de beaucoup la puissance motrice des parties situées au-dessus de corps plus légers. Une petite partie de la terre ne suffît donc pas à mouvoir la terre entière. Il faudrait une masse de terre très grande pour vaincre la résistance de toute la terre, résistance qui provient du désir de rester en repos en son lieu naturel, car elle est en son lieu naturel selon sa totalité et aussi par toutes celles de ses parties qui ne se trouvent pas au-dessus d’un élément plus léger. »

Il est clair que Buridan, dans ce passage, délaisse entièrement cette affirmation : Le lieu naturel de la terre, c’est le centre du Monde. Au sujet du lieu naturel des éléments, il paraît parfois, dans sa Physique, adopter la théorie que Plutarque soutenait dans son petit ouvrage : Sur le visage qu’on voit dans le disque de la Lune[1]. Les éléments tendent à prendre une disposition relative déterminée ; ils ne tendent aucunement à prendre, dans l’Univers une position absolue déterminée. Ils s’efforcent de former des couches sphériques concentriques telles que chaque élément soit entouré par les éléments moins denses et enveloppe, à son tour, les éléments plus denses ; dans la recherche de cette disposition, ils n’ont aucun égard à ce point indivisible qu’est le centre de l’Univers ; si cette disposition se trouvait réalisée sans que cependant la terre fût au centre, la terre ne se mouvrait pas pour chercher le centre.

Une telle doctrine est bien celle que semblent supposer ces paroles : « Si l’on supposait que la terre fût placée ailleurs, sous d’autres éléments, elle ne se mouvrait pas vers ce point qu’est le centre du Monde. »

Cette doctrine qui, au temps même de Buridan, séduisait

  1. Voir : Première partie, ch. XIII, § XII ; t. II, pp. 361-363.