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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — II

que le volume d’un corps s’étende au-delà d’un certain terme ; de même, la ligne est la négation que l’étendue d’une surface franchisse une certaine frontière, le point, la négation qu’une ligne se prolonge au-delà d’une certaine borne.

Écoutons le célèbre Nominaliste gourmander[1] avec sa fougue habituelle les physiciens qui parlent des pôles immobiles du Ciel, du centre immobile du Monde, réalisant ainsi des points, des indivisibles, qui sont de pures abstractions de géomètre :

« Ce qu’on dit de l’immobilité des pôles et du centre procède d’une fausse imagination, à savoir qu’il existe, dans le Ciel, des pôles immobiles et, dans la terre, un centre immobile. Cela est impossible. Lorsque le sujet est animé de mouvement local, si l’attribut demeure numériquement un, il se meut de mouvement local. Mais le sujet de cet accident que sont les pôles, c’est-à-dire la substance du Ciel, se meut de mouvement local ; ou bien donc les pôles seront incessamment remplacés par d’autres pôles numériquement distincts des premiers, ou bien ils seront en mouvement.

» Peut-être dira-t-on que le pôle, qui est un point indivisible, n’est pas une partie du Ciel, car le Ciel est un continu et les continus ne se composent pas d’indivisibles.

» Mais si le pôle existe, et s’il n’est pas une partie du Ciel, c’est donc quelque substance corporelle ou incorporelle. Si elle est corporelle, elle est divisible et non pas indivisible. Si elle est incorporelle, elle est de nature intellectuelle, et l’on arrive à cette conclusion que le pôle du Ciel est une intelligence. »

L’esprit qui a guidé Ockam lorsqu’il a écrit ce passage est aussi celui qui a inspiré Buridan en la discussion des deux problèmes dont nous avons parlé ; l’opinion du Philosophe de Béthune semble pouvoir se résumer en ces termes : Les deux questions dont il s’agit sont dénuées de tout sens, car, elles attribuent la réalité et des propriétés physiques au centre du Monde, tout en traitant ce centre comme un point indivisible.

Voyons d’abord ce que le Philosophe de Béthune dit de la question posée au sujet du lieu naturel de la terre[2].

Selon Buridan[3], le lieu naturel de l’élément terrestre est, en

1. Gulielmi de Occam Summulæ in libros Physicorum, lib. IV, cap. XXII ; éd. Venetiis, 1506, fol, 31, col. b.

2. Magistri Johannis Buridani Questiones quarti libri Phisicorum. Queritur quinto utrum terra sit in aqua sive in superficie aque tanquam in loco proprio et naturali (Bibl. nat., fonds lat., ms. 14.723, fol. 63, col. d). — Joannis Buridani Quaestiones super orto phicicorum libros Aristotelis, éd, Parîsiis, MDIX, fol. Ixx, col. c.

3. Jean Buridan, loc, cit., ms. cit., fol. 64, col. c. ; éd. 1509, fol. Ixx, col. d.

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