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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

que le flot s’accompagne en général, par les temps calmes, d’une brise de mer et le jusant d’une brise de terre ; on sait aussi que, sur les côtes quelque peu vaseuses, l’odorat est surtout lésé au moment du flot.

« Admirable, écrit encore Albert[1], est l’efficace de la Lune sur l’élément humide ; elle l’attire de loin et le meut comme l’aimant attire le fer ; la raison en est que la Lune est la cause première du fluide aqueux, comme nous l’avons dit au Livre du Ciel et du Monde. Recevant la lumière du Soleil, elle est comme un second Soleil ; elle fait évaporer la substance gazeuse (ventum) qui se trouve dans la profondeur de la mer.

» Cela provient de trois causes.

» La première est celle que nous venons de dire : La lumière de la Lune est reçue du Soleil ; par sa chaleur, cette lumière subtilise la vapeur grossière qui réside dans la mer ; devenue plus subtile, cette vapeur tend à se dilater et chasse l’eau des profondeurs.

» La seconde cause, c’est la nature même de la Lune, qui meut l’élément humide ; tandis que l’eau se précipite vers la Lune, elle échauffe la vapeur et la meut par son propre mouvement ; cherchant alors à se dégager, cette vapeur se dilate et chasse les eaux de la mer.

» La troisième cause, c’est la situation de la Lune… »

On voit qu’Albert, réunissant les diverses hypothèses que Guillaume d’Auvergne avait indiquées, mais entre lesquelles il n’avait fait aucun choix, s’efforce d’en tirer une théorie cohérente du flux de la mer. On voit aussi qu’à ce flux, il assigne deux causes. D’une part, à son gré, la Lune, parce qu’elle est de nature humide, attire vers elle les eaux de la mer. D’autre part, la lumière de la Lune, parce qu’elle n’est qu’une réflexion de la lumière solaire, est génératrice de chaleur ; cette chaleur produit, au sein de la mer, une sorte d’ébullition qui gonfle l’Océan.

Ne quittons pas Albert le Grand sans dire quelles justes critiques il adresse à la théorie des marées proposées par Al Bitrogi[2]. « Il est clair, dit-il[3], que, dans son flux et dans son reflux, l’eau de la mer ne suit pas le mouvement du premier moteur, qui est le mouvement diurne. Laissons donc les dires

1. Albert le Grand, toc. ctt.

2. Voir : Première partie, ch. XI, § VI ; t. Il, pp. 154-155.

3. Alberti Magni Op. laud., tract. II, cap. VII : Et est digressio déclarant et destruens tres sectas erroneas circa accessiones maris.

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