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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

« En elle-même, dit Héron, l’eau n’a ni gravité ni force de compression. C’est pourquoi ceux qui plongent au fond de la mer… n’éprouvent aucune compression, bien qu’ils portent sur leurs épaules un poids d’eau considérable… Il a été démontré par Archimède, dans son livre Sur les corps flottants, qu’un corps de même gravité [spécifique] qu’un liquide, plongé dans ce liquide, n’émerge pas du liquide et ne s’y enfonce pas ; il ne comprimera donc pas ce qui se trouve au-dessus de lui ; en effet, si l’on supprime tout ce qui le comprimerait par-dessus, il demeurera au même lieu ; comment donc un corps qui ne désire pas descendre plus bas comprimerait-il ce qui se trouve au-dessous de lui ? Semblablement, le liquide qui occupe la place où était ce corps ne comprimera pas les corps sousjacents ; en effet, en rien de ce qui touche au repos et au mouvement, ledit corps et le liquide qui occupent la même place ne diffèrent l’un de l’autre. »

Ainsi le principe d’Archimède, dont là raison d’être se trouvait dans la pression que le liquide exerce sur le corps immergé, était pris comme argument par ceux qui voulaient nier cette pression.

Les mécaniciens hellènes ont assurément donné, de la pensée d’Archimède, la très fausse interprétation qu’en proposait Héron d’Alexandrie.

Simplicius[1] nous rapporte ce que disait Ptolémée, à ce sujet, dans son traité Des poids, Περὶ ῥοπῶν, qui est aujourd’hui perdu. Il soutenait contre Aristote, « qu’en sa région propre, ni l’eau ni l’air n’a de poids — Ὅτι ἐν τῇ αὐτῶν χώρᾳ οὔτε τὸ ὕδωρ οὔτε ὁ ἀὴρ βαρός ἔχει. » Que l’eau n’ait pas de poids en son propre domaine, il en donnait pour preuve le témoignage des plongeurs qui, si profondément qu’ils s’enfoncent, ne sentent pas le poids du liquide qui les surmonte. Que l’air ne pèse pas non plus lorsqu’il est dans sa sphère, il prétendait le démontrer par l’expérience ; non seulement, à son avis, une outre gonflée ne pèse pas plus qu’une’outre vide, mais elle est plus légère.

Le nom d’Archimède n’a été connu de la Scolastique latine que par un petit traité, parfois intitulé : De incidentibus in aquam, dont l’objet semble avoir été de définir le poids spécifique d’un corps et d’apprendre à le déterminer au moyen de

  1. Simplicii In Aristotelis libros de Caelo commentaria, lib. IV, cap. IV ; éd. Karsten, p. 313, col. b ; éd. Heiberg, p. 710.