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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — II

» Mais, direz-vous, la terre se trouve alors privée de sa perfection naturelle [qui consiste à être entourée d’eau], et cela ne convient point.

» Je dis que ce n’est pas là la perfection essentielle (per se) de la terre, mais seulement une perfection accidentelle ; en ce qui touche au lieu, la perfection essentielle de la terre consiste à se trouver au milieu du Monde ; mais qu’elle se trouve tout entière contenue dans la surface ultime de l’eau, ce n’est pas, pour ëlle, une perfection essentielle ; or que la terre soit perpétuellement privée d’une perfection accidentelle en vue d’un plus grand bien, du bien de l’Univers entier, par exemple, il n’est pas vrai que cela ne convienne point ; c’est, au contraire, plus convenable et plus décent. »


II
L’EAU EST-ELLE PESANTE LORSQU’ELLE RÉSIDE
EN SA SPHÈRE ?


L’essai de théorie mécanique dont nous venons de parler a été condamné par Nicolas Bonet aussi bien que par Jean de Jandun, mais ces deux auteurs se sont réclamés de principes mécaniques tout opposés. L’eau est pesante lors même qu’elle se trouve en son lieu propre, affirmait Jean de Jandun ; l’eau, lorsqu’elle se trouve en son lieu naturel, ne pèse pas, déclarait Nicolas Bonet. Nous saisissons ici un exemple remarquable d’une incertitude qui embarrassa fort l’Hydrostatique de l’Antiquité et du Moyen-Âge. Essayons de marquer exactement en quoi consistait le débat et quelles raisons on invoquait de part et d’autre.

Entre le centre du Monde et la concavité de l’orbe lunaire, nous pouvons tracer trois surfaces sphériques, concentriques à l’Univers, qui découpent en quatre régions la sphère des choses périssables ; ces quatre régions sont celles qu’occuperaient les éléments s’ils étaient disposés comme le requiert leurs natures particulières ; du centre à la circonférence, ce sont : la sphère de la terre, la couche sphérique de l’eau, la couche sphérique de l’air, la couche sphérique du feu.

Imaginons qu’une masse de l’un des trois premiers éléments se trouve dans la sphère qui lui correspond, qu’une masse d’eau, par exemple, se trouve dans la région de l’espace que nous avons appelée sphère de l’eau ; cette masse y est-elle pesante ?