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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

» De là cette conséquence : Si, par impossible, l’élément terrestre était anéanti en totalité, l’eau ne se mouvrait point naturellement pour occuper le lieu de cet élément ; elle ne se mouvrait pas de mouvement naturel jusqu’au centre du Monde ; elle se mouvrait seulement jusqu’à la surface ultime du lieu de la terre, et là, elle resterait suspendue, elle demeurerait naturellement en repos ; l’espace du lieu naturel de la terre demeurerait vide.

» De cela, on peut donner une confirmation :

» Une grande partie de la terre est recouverte par l’eau, c’est manifeste ; si, toutefois, l’eau était grave, et s’il lui fallait naturellement descendre, pourvu qu’elle en eût la possibilité, jusqu’au centre de la terre, par son poids, elle écarterait du centre la masse de la terre ; comme l’eau a un volume très grand par rapport au volume de la terre, elle est plus grave et plus pesante que la terre ; par son poids, donc, elle chasserait la terre et la rendrait excentrique ; or l’expérience nous apprend que cela est impossible.

» On doit dire semblablement de l’air et du feu que chacun d’eux a son lieu propre, déterminé par en haut et par en bas, au-delà duquel il ne se meut point naturellement. »

Pour des raisons bien différentes, Jean de Jandun et Nicolas Bonet condamnaient l’essai de théorie mécanique qui, dans la pesanteur de l’eau, cherchait la force capable de faire émerger une face de la terre. Durant la première moitié du xive siècle, cette condamnation était, sans doute, généralement reçue par les physiciens de Paris. Pour expliquer l’existence permanente de la terre ferme, ces physiciens, continuateurs de Roger Bacon, recouraient au pouvoir de la nature universelle. Nous avons entendu Jean de Jandun se contenter de cette raison. Elle satisfaisait également Walter Burley.

« La terre, dit-il[1], n’est pas en totalité enveloppée par l’eau pure, et en voici la cause finale : C’est afin que puissent vivre l’homme et les animaux terrestres qui sont parties essentielles de l’Univers ; dans l’eau pure, en effet, ils ne pourraient vivre ; la nature universelle s’est donc ingéniée afin qu’une certaine partie de la terre ne fût pas enveloppée par l’eau pure ; cet effet advient de la part de la nature universelle ; et il advient en vue du bien et de l’achèvement au Monde entier.

  1. Burleus Super octo libros physicorum, lib. IV, tract. I, cap. I. Ed. Venetiis, 1491, fol. qui précède le fol. sign. n, col. a.