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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — II

les moindres parties se trouvant égalées aux plus grandes en ce qui concerne la poussée de leur poids. »

Les auteurs inconnus dont nous voulons examiner la tentative s’étaient évidemment inspirés de ce passage du Philosophe ; ils avaient dû raisonner de la manière suivante :

Imaginons qu’au commencement, la terre sphérique ait son centre au centre du Monde ; puis que, sur une des faces de cette terre, on dépose la grande masse d’eau qui est destinée à former l’Océan ; le poids de cette eau va déplacer la terre ; le centre de celle-ci va s’écarter du centre du Monde ; il adviendra ainsi que la mer sera terminée par une surface sphérique concentrique au Monde, mais que le centre de la sphère terrestre se trouvera hors du centre du Monde, du côté opposé à celui qu’occupe l’Océan ; une partie de la surface terrestre pourra, de cette façon, rester hors de l’eau ; et ce qui maintiendra soulevée la sphère de la terre, ce sera la poussée exercée sur cette sphère par le froid de la mer.

Telle est la première tentative qui semble avoir été faite pour expliquer mécaniquement l’émergence des continents.

Même si l’on regarde la pesanteur comme une force dirigée vers un point fixe qui serait le centre du Monde, elle est inadmissible ; elle ne serait recevable que si l’eau était plus dense que la terre ; moins dense que la terre, l’eau n’écarterait pas la sphère terrestre de la position où son centre coïncide avec le centre du Monde, mais elle se répandrait uniformément à la surface de la sphère terrestre.

C’est ce que semble avoir vu Jean de Jandun.

« Il y a, dit-il[1], un doute qui est le suivant : Il est certain que l’eau est pesante. Or, à présent, une partie de la terre, celle qu’habitent les animaux, n’est pas couverte par l’eau ; il en résulte, semble-t-il, que le centre de la terre n’est pas au centre du Monde ; la terre, en effet, est, d’un côté, plus élevée que l’eau, et l’eau est pesante ; dès lors, du côté où l’eau se trouve au-dessus de la terre, cette eau, qui est pesante, pousse la terre et la chasse de son lieu dans la direction où l’eau ne se trouve pas ; le centre de la terre n’est donc pas au centre du Monde, car un corps grave tel que l’eau, lorsque rien ne l’en empêche, se meut vers le bas. »

  1. Joannis de Janduno Quæstiones in libros de Cælo et Mundo, lib. I, quæst. XVI : An terra sit in medio mundi.