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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

avortement. À cette question : Pourquoi la sphère aqueuse ne recouvre-t-elle pas en entier la sphère terrestre ? la théorie mécanique du Stagirite ne donnait pas de réponse. Aussi la réponse désirée fut-elle demandée aux principes les moins apparentés à cette théorie. On invoqua les causes finales ; on réclama l’intervention d’un perpétuel miracle de Dieu ; on imagina une nature universelle, véritable Deus ex machina, prêt à fournir à chaque cause finale la cause efficiente dont elle avait besoin ; on eut recours, enfin, aux influences des orbes et des astres, qu’on douait de vertus si nombreuses et si puissantes qu’aucune explication ne risquait de rester dans l’embarras ; on se servit, en un mot, de tout l’attirail de ces fallacieuses raisons qui ont discrédité la science du Moyen-Age.

Si puissante, si prolongée que soit la domination d’une piperie, elle finit bien, cependant, par se heurter à la justesse d’esprit qui la brise. Aussi allons-nous voir, au xive siècle, les physiciens chercher de nouveau à rendre compte de l’équilibre de la terre et des mers par des raisons de Mécanique. Peut-être leur Statique nous paraîtra-t-elle bien enfantine encore, et nous pourrons, à coup sûr, y découvrir mainte proposition erronée. Elle méritera, cependant, que nous en observions avec soin l’apparition et les progrès, car ceux qui nous la proposeront auront l’insigne honneur de ramener dans ce domaine l’esprit humain à l’emploi de la saine méthode.

La première tentative dont nous ayions à nous occuper présente cette particularité que nous ne pouvons nommer aucun de ses partisans ; nous ne la connaissons que par deux de ses contradicteurs.

Aristote avait dit[1] : « Supposons que la terre soit sphérique et qu’elle occupe le centre du Monde, puis qu’on ajoute un grand poids à l’un de ses hémisphères ; le centre de l’Univers et celui de la terre ne coïncideront plus. Qu’arrivera-t-il alors ? Ou bien la terre ne demeurera pas immobile au milieu de l’Univers, ou bien elle demeurera immobile, bien qu’elle ne tienne pas ce milieu et, partant, qu’elle soit apte à se mouvoir. Voilà la question douteuse. » Et de la discussion du problème, le Stagirite avait tiré cette conclusion : « La terre se mouvra nécessairement jusqu’à ce qu’elle environne le centre d’une manière uniforme,

  1. Aristote De Cælo lib. Il, cap. XIV (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, pp. 407-409 ; éd. Bekker, vol. I, p. 296, col. b), — Voir ; Première partie, ch. IV, § XIV ; t. I, p. 216.