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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — I

tion, comme l’aimant attire le fer ; soit qu’elle agisse sous forme de pression, en provoquant la formation de vapeurs capables d’exercer une poussée, comme on le voit en certaines régions montagneuses. »

Pierre d’Abano nous avait fait entendre un langage presque semblable à celui-là.

« Mais, poursuit Dante, on demande encore : Pourquoi cette élévation s’est-elle produite dans cet hémisphère-ci, et non dans l’autre ? Il faut donner à cette question la réponse que formule le Philosophe au second livre du De Caelo, lorsqu’il se demande pourquoi le ciel se meut d’Occident en Orient, et non pas en sens contraire. Il dit en cet endroit que de telles questions procèdent ou d’une forte sottise ou d’une grande présomption, car elles passent notre intelligence.

» À cette question, voici donc ce qu’il faut répondre : Ce dispensateur qu’est le Dieu de gloire, de même qu’il a établi la situation des pôles, la situation du centre du Monde, la distance à ce centre de l’ultime circonférence de l’Univers, et d’autres choses semblables, a aussi réglé cet effet ; et celui-ci comme ceux-là il les a faits parce qu’il était mieux qu’il en fût ainsi. Lorsqu’il a dit : « Que les eaux se réunissent en un même lieu. et que la terre ferme apparaisse », il a, tout à la fois, doué le ciel de la force nécessaire pour agir et la terre de la puissance nécessaire pour subir cette action. »

Manifestation de cette cause finale qui requiert, pour les éléments, la possibilité de se mélanger entre eux ; recours à une nature universelle qui impose aux natures particulières des effets contraires à leurs propres tendances ; appel aux influences astrales qui sont les instruments de cette nature universelle ; toutes ces explications que Dante regarde comme tirées des principes de la Physique ne le dispensent pas, quoi qu’il en ait, d’invoquer, en dernier recours, l’action directe et surnaturelle de Dieu.

La Quæstio de duobus elementis a-t-elle été vraiment écrite en l’année 1320 ? S’il nous est impossible de répondre avec certitude, du moins pouvons-nous affirmer qu’elle rassemble avec ordre et clarté une grande part des pensées qui avaient été émises, avant 1320, touchant l’équilibre de la terre et des mers, et qu’elle ne dit rien qui, à cette époque, fût inédit.