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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

d’un effet contraire à sa nature ; ainsi la terre ne saurait être la cause efficiente de cette élévation.

» Cette cause, l’eau ne peut pas l’être davantage ; l’eau, en effet, est un corps homogène ; d’une manière immédiate, toute vertu doit être distribuée d’une manière uniforme entre ses diverses parties ; il n’y aurait donc aucune raison pour qu’elle élevât la terre d’un côté plus tôt que de l’autre. »

Cette même raison interdit cette causalité à l’air et au feu ; et comme au delà, il ne reste que le ciel, il faut rapporter cet effet au ciel comme à sa cause propre.

» Mais il y a plusieurs cieux ; encore donc il reste à rechercher quel est le ciel auquel cet effet doit être rapporté comme à sa propre cause. »

Ce ne peut être le ciel de la Lune. « L’instrument, en effet, de la force ou de l’influence qu’exerce ce ciel, c’est la Lune elle-même. » Or, dans son cours, la Lune s’écarte de l’équateur, vers le Sud, autant et aussi souvent que vers le Nord. Le continent qu’elle eût élevé ne se fût pas plus étendu dans l’hémisphère septentrional que dans l’hémisphère méridional.

« La même raison[1] interdit ce genre de causalité à tous les orbes planétaires. D’autre part, le premier mobile, qui est la neuvième sphère, est uniforme dans sa totalité ; il est donc, partout, doué de force d’une manière uniforme ; dès lors, il n’y aurait aucune raison pour qu’il eût élevé la terre d’un côté plus que de l’autre. Or il n’y a plus qu’un seul corps mobile, le ciel des étoiles fixes, qui est la huitième sphère ; c’est à lui donc qu’il est nécessaire de rapporter cet effet.

» Pour que cela devienne évident, sachez que le ciel des étoiles fixes jouit, sans doute, de l’unité de substance ; mais il possède une multiplicité dans sa force ; c’est pour cela qu’il lui a fallu présenter, dans ses parties, cette diversité que nous voyons, afin qu’il pût, à l’aide d’instruments divers, influer des forces diverses. Celui qui ne prête pas attention à cela se met, qu’il le sache bien, hors des bornes de la Philosophie…

» Or cette terre découverte s’étend de l’équateur au cercle [polaire arctique] que décrit le pôle du Zodiaque autour du pôle du Monde. Il est donc manifeste que la force soulevante appartient aux étoiles placées dans la région du Ciel comprise entre ces deux cercles ; soit que cette force soulève sous forme d’attrac-

  1. La « Quæstio de Aqua et Terra », § 21 ; éd. cit., pp. 44-48.