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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

vrai qu’elle devra prendre la forme d’une sphère, dont le centre soit celui du Monde.

Mais maintenant, « sachons[1] que la nature universelle n’est pas frustrée de ce qui est sa fin. Parfois, la nature particulière est frustrée de la fin à laquelle elle tend, parce que la matière n’obéit pas. Mais la nature universelle ne peut jamais être en défaut pour réaliser ce à quoi elle tend ; à la nature universelle, en effet, sont également soumis l’acte et la puissance de toutes les choses qui peuvent être et ne pas être.

» Or l’intention de la nature universelle, c’est que toutes les formes qui sont en puissance dans la matière première soient mises en acte, que chacune d’elles y existe en acte selon sa nature spécifique, afin que la matière première, considérée dans sa totalité, se trouve, à la fois, sous toute forme matérielle possible, encore que chacune de ses parties soit privée de toutes les formes sauf une…

» Or, si l’on excepte les formes des éléments, les formes matérielles des substances soumises à la génération et à la corruption requièrent une matière, un sujet qui soit mixte et complexe et les éléments en tant qu’éléments sont ordonnés en vue de la formation d’un tel sujet.

» Mais il n’y a pas de mixtion possible là où les corps destinés à être mélangés ne peuvent coexister ; cela est évident de soi. Il est donc nécessaire qu’il existe, dans l’Univers, quelque endroit où les corps destinés à être mélangés, c’est-à-dire les éléments, puissent se trouver rassemblés ; et, d’autre part, cela ne pourrait être si la terre n’émergeait en quelqu’une de ses parties, comme le voit quiconque y prête attention.

» Partant, puisque toute la nature obéit à l’intention de la nature universelle, il a été nécessaire que la terre ne fût pas seulement le siège de cette nature simple qui consiste à être en bas, mais qu’il s’y trouvât aussi quelque autre nature, par laquelle la terre pût obéir à l’intention de la nature universelle, par laquelle, comme si elle obéissait à un ordre, elle souffrit d’être soulevée en partie par la force du ciel. »

Celui qui écrivait ces lignes avait recueilli l’enseignement de Roger Bacon, d’Albert le Grand, de Pierre d’Abano ; de cet enseignement, il donnait un exposé parfaitement clair et précis.

  1. La « Quæstio de Aqua et Terra », § 18, pp. 30-34.