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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — I

car celle-ci est cause et dominatrice de celle-là. La mort, par exemple, va contre le courant de la nature particulière ; mais non de la nature universelle… De même, que l’eau de la mer flue et reflue, c’est contraire à sa nature particulière, car il lui serait plus naturel de demeurer en repos ; mais cela n’est pas contraire à la nature universelle, savoir, au mouvement de la Lune qui meut la mer. »

La nature universelle, telle que la conçoit Pierre d’Abano, est bien celle à laquelle Roger Bacon recourait dans les circonstances les plus diverses. Le médecin de Padoue rattache nettement cette notion à ses origines astrologiques.

Jean de Jandun avait revu les commentaires composés par Pierre d’Abano sur les Problèmes d’Aristote. On peut donc penser qu’il avait lu le Conciliator differentiarum. D’autre part, nous l’avons entendu, alors qu’il étudiait les mouvements qui s’opposent à la production du vide, invoquer, à l’exemple de Bacon, la nature universelle. Rien d’étonnant, donc, s’il demande à cette nature d’expliquer l’existence de la terre ferme.

« Il est bien vrai, dit-il[1], qu’en ce qui’concerne la nature particulière de l’eau et de la terre, la terre devrait être complètement entourée par l’eau. Mais, en vue du bien et de la perfection de l’JJnivers entier, il en est autrement. Il est donc véritable que le lieu naturel doit entourer la totalité du corps logé, à moins que quelque autre cause n’y mette empêchement ; telle est la nature universelle, lorsqu’elle tend à un plus grand bien que ne le serait cet enveloppement total. »

Cette nature universelle peut, pour assurer au Monde un plus grand bien, troubler l’ordre des lieux naturels, car c’est elle-même qui, à chaque élément, assigne un lieu naturel. Albert le Grand avait indiqué comment les vertus qui caractérisent les divers lieux naturels émanent des orbes célestes. Graziadei d’Ascoli reprend avec beaucoup de précision les considérations de l’Évêque de Ratisbonne[2].

« L’ordre qui s’observe dans les situations des diverses parties de l’Univers se tire de l’ordre qui préside à leurs natures ; nous voyons, en effet, que les êtres qui sont d’une nature plus élevée se trouvent également rangés dans une situation plus élevée.

« Comme le premier contenant est, selon l’ordre de nature

  1. Joannis de Janduno Quœstiones in libros Physicorum, lib. IV, quæst. VII.
  2. Quesiiones fratris gratiadei de esculoperipsum in florentissimo studio patavino disputate. Quæst. IX, secunda autem via. — Ed. Venetiis, 1503, fol. 118, col. a et b.