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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — I

universelle ou d’Ordre du Monde, une eau si efficiente qui exécute précisément ce que réclament les causes finales.

La pensée de Roger Bacon trouve, en particulier, un reflet très fidèle dans la doctrine exposée par Pierre d’Abano.

« L’eau, dit Pierre d’Abano[1]est un corps simple, dont le lieu naturel est autour de la terre… Nous disons : Le lieu naturel. Il se trouve, en effet, que certaines parties de la terre ne sont pas couvertes par l’eau. Cela peut provenir de diverses causes.

» En premier lieu, cela peut provenir de ce que les constellations qui se trouvent hors du Zodiaque, dans la région septentrionale, retiennent la Mer Océane et l’empêchent d’inonder la terre. Aussi le Psalmiste dit-il : Vous avez réuni les eaux comme dans une outre. Plusieurs imaginent que le déluge est advenu parce que les forces de ces constellations s’étaient relâchées.

» Cela peut provenir aussi de ce que, comme il est dit au second livre des Météores, la partie septentrionale de la terre est surélevée. Au même livre, cette vérité est démontrée par l’écoulement de la mer, qui prend naissance dans la région du Palus Méotide et du Don pour finir en Espagne.

» Cela peut provenir encore de ce que la terre, rare et poreuse, boit l’humidité de l’eau ; ou bien encore de la chaleur des rayons, particulièrement des rayons solaires, qui résolvent l’eau en vapeurs.

» Cela peut être, enfin, en vue de l’existence permanente des animaux. Les plus parfaits d’entre eux, en effet, avaient besoin d’air afin de conserver leur chaleur ; il fallait qu’en eux, la nature terrestre se trouvât dominée, afin qu’ils fussent constitués avec sagesse ; il fut donc nécessaire qu’en certains lieux, la terre fût exposée toute nue au contact de l’air, en vue de l’existence des animaux nobles ; car, dit Algazel, ils ne pouvaient demeurer dans l’eau, puisqu’ils sont doués de poumons.

» Peut-être semblera-t-il que le concours d’un tel ordre est contraire à la nature particulière des éléments ; mais il ne l’est pas à la nature universelle, dont il sera parlé en la XVe différence ; celle-ci tend sans cesse à ordonner toutes choses le r mieux possible, afin de les faire parvenir au Bien souverainement désirable. »

Pierre d’Abano prétendait être un, conciliateur ; il n’était,

  1. Conciliator differentiarum philosophorum et præcipue medicorum clarissimi viri Petri de Abano Patavini. Diff. 13.