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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — I

se trouverait empêchée de recouvrir la terre ; nous aurions, dès lors, un effet perpétuel qui serait contre nature.

» Mais que l’eau soit, de la sorte, toujours retenue à l’encontre de sa nature, cela semble inadmissible. Au gré de tous les docteurs, Dieu, dans l’administration des êtres, laisse chacun d’eux suivre le cours qui lui est propre. Sans doute, il suspend parfois, pour un temps, le cours de quelqu’un d’entre eux. » Mais cette action miraculeuse ne dure qu’un certain temps, après quoi les choses reprennent leur marche naturelle. « Que les eaux, donc, soient, de cette façon, retenues perpétuellement et sans fin, qu’un effet contre nature dure toujours, cela ne convient pas à la divine Sagesse. »

C’est pour éviter ce perpétuel recours à l’intervention miraculeuse de Dieu que d’autres, tel Ristoro d’Arezzo, ont invoqué Faction des astres. De cette explication astrologique, Gilles ne parle pas dans son Opus hexaemeron ; mais dans son écrit sur le second livre des Sentences, où se trouve maint renvoi à l’Opus hexaemeron, il expose et réfuté cette théorie.

« Que la mer n’occupe pas toute la terre, écrit Gilles[1], certains paraissent l’attribuer au mouvement et à la force des corps célestes, de même que la mer flue et reflue par la force des corps célestes…

» Mais cela ne se peut soutenir. Il est vrai que le mouvement du premier ciel ou du premier mobile entraîne avec lui tous les autres orbes, qu’il entraîne également la sphère du feu tout entière et presque toute la sphère de l’air, à l’exception de l’air qui se trouve enclos par les montagnes ; mais cet entraînement et ce mouvement sont circulaires ; un tel mouvement n’est accompagné ni de montée ni de descente. »

Quelle va donc être la solution proposée par Gilles au problème de l’existence des continents ?

« Si la terre[2] avait une forme parfaitement ronde, sans aucune bosse (gibbositas), elle serait entièrement recouverte par l’eau. Il est vrai que la terre est ronde. Mais une pomme peut être ronde et présenter, cependant, des bosses et des creux. Sa forme est ronde comme l’est celle de la terre.

» La terre peut donc, en divers endroits, présenter des bosses qui sont les montagnes. Mais en sus des montagnes, elle porte, dans sa partie septentrionale, une grosse bosse (magna gibbo-

  1. Ægidii Romani Super secundo libro Sentiarum opus, dist. XIV, quæst. X.
  2. Gilles de Rome, loc. cit.