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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

terre demeure immobile au milieu du Monde, et cela par deux causes, en vertu de la nature du lieu et en vertu de la nature de la terre.

» En vertu, d’abord, de la nature du lieu. Aucun corps naturel ne se meut naturellement lorsqu’il se trouve dans le lieu qui lui est semblable ; il y demeure en repos. Or, le milieu du Monde, parce que sa distance à l’orbe céleste est la plus grande, est le lieu connaturel à la terre. En effet, au mouvement véhément de l’orbe céleste, il appartient de créer la chaleur au sein de la matière susceptible d’éprouver cette altération ; et comme la sphère du feu se trouve être la plus voisine du premier ordre, une chaleur intense est engendrée dans le feu.

» La sphère de l’air est plus distante de l’orbe céleste ; une certaine chaleur y demeure donc, mais elle est tempérée.

» L’eau se trouvant encore plus éloignée du ciel, cette eau possède le froid, mais accompagné de fluidité.

» Enfin, comme le lieu de la terre est le plus éloigné du ciel, il y a, dans la terre, un froid intense, qui en resserre et en condense les parties… et qui lui infuse un froid exempt de fluidité ; voilà pourquoi les corps qui résident en ce lieu sont rendus pesants et immobiles. »

Nous entendons, en ce passage, un écho d’Albert le Grand, écho lui-même d’Al Gazâli.

« La nature de la terre, poursuit Bernard, produit le même effet. C’est pour la même raison qu’une chose se meut vers un lieu et que, dans ce lieu, elle demeure en repos. La terre donc qui, de quelque côté que ce soit, est mue par la forme qu’est la gravité vers le centre qui est son lieu connaturel, la terre, disons-nous, se repose naturellement dans ce lieu en vertu de cette même forme… De même, par la forme qu’est la légèreté, le feu est mû vers la concavité de l’orbe de la Lune (orizon), et il y demeure en repos.

» Partant, si la terre était percée de part en part, une pierre, jetée dans le trou, s’arrêterait au centre ; si elle le dépassait, en effet, elle ne descendrait plus ; elle monterait. »

En distinguant ainsi ce qui est l’effet de la nature du lieu et ce qui est l’effet de la nature de la terre, Bernard paraît avoir senti, au moins confusément, que la Physique péripatéticienne se débattait entre deux théories incompatibles du lieu naturel.

La troisième question de la seconde leçon traite de la forme