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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Cette théorie professée par les Frères de la Pureté et par Al Bitrogi, Robert l’Anglais la regarde si bien comme liée à l’explication astrologique de l’assèchement de la terre ferme, qu’il donne une seule preuve à l’appui de cette explication, et c’est le dessèchement qu’ont éprouvé, au cours des temps, certaines parties de l’Angleterre.

Cette explication astrologique, d’ailleurs, ne diffère pas autant qu’il semblerait peut-être au premier abord de certaines autres explications, de celles, par exemple, qui ont été proposées par Roger Bacon et par Saint Thomas d’Aquin. C’est du ciel qu’émanent la nature universelle invoquée par celui-là, l’ordre universel considéré par celui-ci ; cette nature universelle, cet ordre universel ne sont, après tout, que d’autres noms donnés à l’influence des astres.

Dans son traité De multiplicatione specierum, Roger Bacon avait développé des considérations sur la perfection de la figure sphérique[1] ; ces considérations l’avaient conduit à cette conclusion : « Toute nature qui prend figure en vertu de sa tendance propre doit, à moins qu’une cause finale ne s’y oppose, chercher celle où, au sein du tout, les parties ont, entre elles, le plus de voisinage ; or cette figure, c’est la figure sphérique. » C’est à la nature universelle qu’il appartient de s’opposer à la tendance propre de la nature particulière lorsque quelque cause finale l’exige ; en écrivant les lignes que nous venons de citer, Bacon songeait assurément à cette nature universelle qui, pour mettre la vie de l’homme et des animaux à sang chaud, entoure la sphère aqueuse et fait émerger les continents.

Les considérations de Roger Bacon sur les propriétés de la figure sphérique, les corollaires qu’il en tirait touchant les propriétés de la lumière, avaient été fidèlement recueillis, nous le savons[2], par l’auteur d’un traité anonyme que nous avons analysé[3]. Nous ne serons pas étonné d’entendre cet auteur soutenir l’explication finaliste de l’émergence des continents, « L’eau, dit-il[4], est ronde de toutes parts ; elle le serait si Dieu, par sa souveraineté, n’en avait autrement ordonné celui qui

  1. Tractatus Magistri Rogeri Bacon de multiplicatione specierum, pars II, cap. VIII (Fratris Rogeri Bacon Opus majus, éd. Jebb, pp. 409-410 ; éd. Bridges, vol. II, pp. 493-494).
  2. Voir : Seconde partie, note relative au ch. VII, t. III, pp. 499-523.
  3. Seconde partie, ch. VII, § IX ; t. III, pp. 471-484.
  4. Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms. no 16.089, fol. 184, col. c. — Bibliothèque municipale de Bordeaux, ms. no 419, fol. 3, col. d.