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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Dans cet ordre de la nature (ordinatio naturæ), inconnu au Péripatétisme, qui émane du Ciel, le premier des lieux, qui confère aux éléments des formes distinctes des quatre qualités passives, des formes hiérarchisées en vertu desquelles chacun d’eux devient congénère de celui qui le suit et capable de lui servir de lieu, ne reconnaissons-nous pas un peu la θέσις de Damascius et de Simplicius et beaucoup la nature universelle de Roger Bacon[1].

Pierre d’Auvergne a commenté les parties du Περὶ Οὐρανοῦ que son maître Thomas d’Aquin n’avait pas eu le temps d’exposer. Du mouvement naturel qui porte les corps graves ou légers vers leurs lieux propres, il donne[1] une explication d’où toute tendance platonicienne se trouve désormais exclue. Voici, en effet, comment il entend cette pensée d’Aristote : Un corps se meut naturellement vers son lieu propre comme une matière vers la forme qui la doit perfectionner :

« Être grave ou être léger, ce n’est pas autre chose qu’être en bas ou être en haut… Pour un tel corps, être porté vers son lieu, ce n’est pas, absolument et formellement, être porté vers sa perfection ; c’est être porté vers quelque chose dont il tire la raison d’être de cette perfection ; la perfection d’un tel corps consiste, en effet, à être en bas ou en haut, et c’est le bas ou le haut qui en constitue la raison d’être. »

Selon cette interprétation, un fragment de terre se meut afin de se placer le plus bas possible, et non pas afin de se trouver contenu par l’eau ; la terre est en son lieu naturel lorsque son centre est au centre de l’Univers, et non pas lorsque sa surface est recouverte par la sphère aqueuse. Ce commentaire défend, peut-on dire, Aristote contre lui-même, l’Aristote péripatéticien du traité Du Ciel contre l’Aristote platonicien de la Physique.

  1. a et b Libri de celo et mundo Aristotelis cum expositione Sancti Thome de Aquino. et cum additione Petri de Alvernia. — Colophon : Venetijs mandato et sumptibus Nobilis viri domini Octaviani Scoti Civis modoetiensis. Per Bonetum Locatellum Bergomensem. Anno a Salutifero partu virginali nonagesimoquinto supra millesimum ac quadringentesimum. Sub Felici ducatu Serenissimi principis Domini Augustini Barbadici. Quintodecimo Kalendas Septembres, Lib. IV, comm. 23, fol. 71, col. a et b.