Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — I

dation entre les corps est une gradation entre leurs formes substantielles.

Quand l’eau se change en air, une forme moins noble est remplacée par une forme plus noble ; aussi Thomas d’Aquin dit-il alors qu’il y a génération absolue (simpliciter) et corruption relative (secumdum quiet). Au contraire, quand l’air se transforme en eau, il y a corruption absolue et génération relative, parce que la matière première dépouille une forme plus noble pour revêtir une forme moins noble. En disant donc que l’eau est à l’égard de l’air comme une matière à l’égard d’une forme, nous entendons affirmer entre ces deux éléments une relation de moins parfait à plus parfait.

« Mais l’ordre qui règle les situations des diverses parties de l’Univers dépend de l’ordre de la Nature… Il faut que la hiérarchie des lieux naturels corresponde à la hiérarchie des corps qui s’y trouvent naturellement logés, » Du centre du Monde, donc, à la concavité de l’orbe de la Lune, les lieux naturels des quatre éléments, vont s’étager comme s’étagent les degrés de noblesse de ces éléments. Pour réaliser cet ordre de la nature, chaque élément se mouvra naturellement jusqu’à ce qu’il se trouve contenu par l’élément qui se place immédiatement au-dessus de lui dans la hiérarchie des formes substantielles ; « c’est de cette façon que la proximité de nature entre le corps contenant et le.corps contenu est la cause pour laquelle un corps se meut vers son lieu propre. »

Cette place dans la hiérarchie naturelle, qui lui confère l’aptitude à fournir un lieu propre à l’élément immédiatement inférieur, d’où chaque élément la tient-il ? « Il faut considérer, dit Saint Thomas, que le Philosophe parle ici des corps au point de vue de leurs formes substantielles. Ces formes, ils les tiennent de l’influence du corps céleste ; celui-ci, en effet, est le premier lieu, et c’est lui qui, à tous les autres corps, donne la vertu locative. Au point de vue des qualités actives et passives, au contraire, il y a contrariété entre les éléments, et chacun d’eux est, pour les autres, un agent de corruption. »

Bien au contraire, Aristote avait dit très clairement, et Averroès avait répété de la façon la plus formelle, que la ressemblance qui fait de l’air un congénère de l’eau, qui rend l’air apte à devenir le lieu propre de l’eau, c’est l’humidité qui leur est commune à tous deux et que ne possèdent pas les deux uatres éléments. Comme Albert le Grand, Thomas d’Aquin s’écarte sensiblement ici de la pensée du Stagirite.