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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

parlé des choses naturelles, ont déclaré que l’existence de la mer provenait du principe suivant : Au début, l’eau liquide couvrait toute la terre ; mais le Soleil, agissant continuellement sur cette eau liquide, en élève, sous forme de vapeurs, une partie qu’il convertit en air et en feu ; cela se passe surtout du côté du midi, où le Soleil est plus ardent ; toutefois, une certaine quantité de liquide, non consumée par le Soleil, est demeurée, particulièrement vers le Nord. Selon cette opinion, donc, la mer qui, tout d’abord, recouvrait la terre entière, a vu diminuer son volume primitif ; la terre ferme a émergé en certains lieux tandis qu’ailleurs, la mer est restée.

» Mais, touchant une chose homogène, ce qui est vrai d’une partie l’est du tout ; ces savants admettent donc qu’avant la fin des temps, la mer sera totalement desséchée et qu’il restera seulement trois éléments. »

Comme son maître Albert le Grand, Saint Thomas d’Aquin, lorsqu’il expose les enseignements du Περὶ Οὐρανοῦ, reproduit avec soin les raisonnements par lesquels le Stagirite trouve, dans la pesanteur, la raison d’être de la figure de la terre[1] et des mers[2].

C’est avec un embarras visible que Thomas d’Aquin cherche[3] l’interprétation du passage de la Physique où le Philosophe s’efforce d’expliquer les propriétés du lieu naturel. Qu’est-ce que cette similitude entre l’air et l’eau en vertu de laquelle l’eau se meut naturellement vers la surface interne de l’eau comme la partie se meut vers le tout dont elle a été séparée ? En quel sens peut-on dire, avec Aristote, que l’air se comporte à l’égard de l’eau comme une matière à l’égard d’une forme ? Dans la réponse que le Doctor communis donne à ces questions, on perçoit les influences les plus diverses, celle de Simplicius, celle d’Al Gazâli, mais surtout celle d’Albert le Grand et celle de Roger Bacon. La pensée du Philosophe se trouve singulièrement altérée par ces influences.

Il faut admettre, tout d’abord, qu’une hiérarchie naturelle dispose les divers corps les uns par rapport aux autres ; le corps céleste est le plus noble, puis vient le feu, puis l’air, puis l’eau, enfin la terre qui est le moins noble de tous. Cette gra-

  1. Sancti Thomæ Aquinatis In libros Aristotelis de Cælo et Mundo expositio, lib. II, lect. XXVII.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Op. laud., lib. II, lect. VI.
  3. Sancti Thomæ Aquinatis In libros physicorum Aristotelis expositio, lib. IV, lect. VIII.