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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Comme les corps célestes ont, en commun, cette nature universelle par laquelle ils se meuvent tous de mouvement circulaire, ils ont fait que la matière fût apte à recevoir n’importe quelle forme. Mais comme, outre cette nature universelle chacun des orbes célestes a sa nature particulière, ces sphères ont fait que telle partie de la matière fût plus apte à recevoir telle autre forme. Dans ces parties diversement préparées, les formes de chacun des quatre éléments ont été introduites par l’intelligence active.

« C’est en vertu du voisinage ou de l’éloignement des corps célestes, dit Al Gazâli[1], que les matières reçoivent diverses aptitudes… La racine de la matière corporelle provient d’une substance intelligible et séparée ; mais si elle est découpée en parties définies, cette matière le doit aux corps célestes ; et si elle a telle ou telle aptitude, elle le leur doit également… Par suite du rapport qu’il y a entre la chaleur et le mouvement, la partie de la matière qui est la plus voisine du corps toujours en mouvement est la plus digne de recevoir la forme du feu. Au contraire, la matière qui est la plus éloignée des corps célestes est la plus digne du froid et de l’immobilité qui caractérisent la forme terrestre.

« C’est de cette manière que les corps susceptibles de génération et de corruption reçoivent l’existence. Il est manifeste par là qu’il y a une première aptitude de la hyle à recevoir universellement n’importe quelle forme ; puis qu’il y a une certaine cause qui rend cette matière apte à recevoir telle ou telle des quatre natures. »

D’après ce qu’Al Gazâli vient d’expliquer, il semble bien que cette préparation de la matière à recevoir les formes élémentaires consiste en une séparation et en une distinction de parties que caractérise leur plus ou moins grande proximité à la sphère céleste, donc dans le découpage de la matière en couches sphériques concentriques au Ciel[2] Nous voici bien près de la pensée d’Albert le Grand.

Les surfaces sphériques qui délimitent les lieux naturels des éléments sont toutes concentriques au Monde. Albert n’admet pas que le centre de la sphère terrestre ait été écarté du centre de l’Univers. Lorsqu’il commente le Livre des propriétés des

  1. Philosophia Algazelis, lib. I, tract. V.
  2. Voir : Première partie, ch. Il, § III ; t. I, pp. 41-42.