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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

tière ; qui, en exprimant tout ce qui est humide, est cause de la solidité ; qui induit donc, en la matière, la forme de la terre.

» Tout cela sera plus complètement manifesté au Perigeneseos et au livre des Météores. Ce que nous venons de dire, en effet touchant la génération des éléments, nous l’avons dit uniquement pour que ceci soit connu : C’est la distance du lieu à l’orbe céleste qui, par ses différences, cause les formes diverses des éléments ; et le mouvement d’un élément se fait vers le lieu qui est déterminé par telle ou telle distance…

» Toutes ces raisons prouvent la vérité de l’opinion que, d’un commun accord, nous ont transmise trois philosophes, Avicenne, Averroès et Moïse l’Égyptien. Selon cet avis, c’est le lieu considéré sous une distance déterminée à partir du ciel qui cause les formes des éléments ; par conséquent, un élément déterminé se meut vers un lieu qui se trouve sous l’orbe céleste, à telle distance déterminée de cet orbe…

» Ce pouvoir causal que le ciel répand en tel ou en tel lieu est un pouvoir excellent et divin ; sinon, il n’y aurait aucun mouvement local. Il n’y a point, en effet, de mouvement vers quelque chose que ce soit, si ce n’est en raison de quelque autre chose qui est excellent et divin ; or, de tous les mouvements, le plus parfait est le mouvement local, comme on l’a prouvé au livre Des physiques et au traité Du Ciel et du Monde ; en vue de ce mouvemènt, donc, il faut qu’il existe une chose qui soit, par nature, la plus excellente et la plus divine. »

Albert nous donne cette doctrine pour le résumé de l’opinion commune d’Avicenne, de Maimonide et d’Averroès.

Averroès eût repoussé avec horreur une bonne partie de cet enseignement. N’avait-il pas surtout écrit son Discours sur la substance de l’orbe céleste pour combattre cette théorie d’Avicenne qui, à la matière première, impose d’abord une forme corporelle entièrement générale, puis les formes substantielles particulières des quatre éléments ? Nous avons vu, d’ailleurs, combien la théorie du lieu naturel admise par le Commentateur différait de celle que vient d’exposer le premier maître des Frères Prêcheurs.

Moïse Maïmonide eût peut-être accueilli avec plus d’indulgence l’avis que lui prête Albert le Grand. Ne l’avons-nous pas entendu[1] distinguer quatre sphères au sein des cieux et, sous

  1. Moïse ben Maimoun dit Maïmonide, Le guide des égarés, deuxième partie, ch. X ; trad. S. Munk, t. II, p. 84-88. — Voir : Première partie, ch. XIII, § XV ; t. II, pp. 388-390.