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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — I

de conserver le corps qui s’y loge ? Albert va nous l’expliquer[1].

« On se demandera peut-être avec étonnement d’où vient au lieu cette force si grande en vertu de laquelle, en un certain lieu, une partie de la matière universelle des corps reçoit la forme du feu, tandis qu’ailleurs, une autre partie reçoit la forme d’air, ou de feu, ou de terre.

» La matière, en effet, par elle-même, n’a absolument aucun lieu. De même, la matière qui est seulement sous la forme de corps, bien qu’elle soit circonscrite par un lieu, n’exige point ce lieu, caractérisé par certaines différences locales, vers lequel se fait tout mouvement local ; si une telle différence locale, vers laquelle se fasse un mouvement local, se trouve exigée, c’est seulement en raison d’une forme substantielle déterminée ; cette forme, en effet, en tant qu’elle est forme substantielle, appartient à un corps susceptible de génération.

» Il semblera peut-être que la surface dont la concavité contient le corps logé, peut être regardée comme une chose qui appartient au corps logeant, et non pas au corps logé ; qu’elle possède donc en elle les vertus du corps logeant, et, par conséquent, que son action doit avoir pour terme la forme du corps logeant, mais non celle du corps logé. Il semble ainsi que la concavité du feu ne devrait pas produire de l’air, mais du feu…

» Comme nous l’avons dit au Traité du Ciel et du Monde, c’est là une erreur. Aussi, avec Avicenne et certains philosophes, devons-nous tenir le langage suivant :

» Ce lieu naturel qui a le pouvoir d’induire des formes [substantielles déterminées] dans la matière des corps simples, c’est la surface du corps contenant prise avec sa distance à l’orbe céleste. C’est, en effet, cette distance qui cause le chaud et le froid, l’humidité et la sécheresse, qui sont les vertus naturelles des éléments.

» Si, par exemple, cette distance est nulle, à l’aide du mouvement et de la lumière, elle induit [dans la matière corporelle] la suprême chaleur, la subtilité et la sécheresse, qui ne sont point autre chose que la forme du feu. » La génération de l’air, puis de l’eau, s’expliqueront d’une manière semblable par des distances croissantes à l’orbe céleste. « Quant à la distance parfaite, la chaleur lui fait complètement défaut ; bien plutôt ce qu’elle possède, c’est le froid qui resserre les parties de la ma-

  1. Alberti Magni Op. laud., tract. I, cap. IV.