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LA THÉORIE DES MARÉES

plissait pas tout-à-fait en est, maintenant, plus que comblé ; il déborde ; cette apparence provient de ce qu’à l’eau, s’ajoutent les vapeurs que la force de la chaleur a dégagées de cette même eau ; par leur propre ascension, elles soulèvent l’eau, et leur multitude l’oblige à se répandre de tous côtés. Il en est de même des mers. Aussi le flux est-il appelé effervescence ou ébullition de la mer ; il provient de la multiplication et de l’ascension des vapeurs qui montent du fond de la mer, des profondeurs des terres qui s’ouvrent à l’accès de la mer et des entrailles mêmes de la terre qui possèdent beaucoup de chaleur.

» Comme vous me l’avez déjà ouï dire, là est la cause pour laquelle les mers moins larges et plus profondes ont des flux plus forts et plus hauts ; pour laquelle, au contraire, les mers plus larges présentent de moindres ébullitions. De même, l’eau bouillante se gonfle davantage dans un vase d’orifice étroit que dans un plat ou dans quelque autre vase du même genre. Il en est ainsi, parce que ces vapeurs trouvent un échappement plus libre et plus largement ouvert dans les mers d’une grande étendue que dans les autres ; elles ne forcent donc pas les eaux de ces mers-là à s’élever autant ni à éprouver une aussi forte dilatation.

» Dans son livre qui est intitulé Introductorium judiciorum astronomorum, Albumasar a écrit[1] que la mer monte ou afflue toujours dans une région lorsque la Lune s’élève au-dessus de l’horizon ; assurément, je n’ai pas éprouvé moi-même si cela est véritable ; mais je ne pense pas qu’on s’éloigne de la vérité en tenant le langage suivant :

» La mer s’élève vers la Lune comme vers son conducteur, ou comme vers un être qui a sur elle, de quelque autre manière, vertu et puissance ; ou bien encore elle s’élève grâce à quelque aspect semblable à celui qui existe, avons-nous dit, entre le fer et la pierre d’aimant ; lorsqu’en effet la pierre d’aimant vient à monter, le fer monte en même temps, comme s’il se dressait. Il en est, au contraire, du jaspe et de la pierre qu’on nomme sardoine si ce qu’en disent les expérimentateurs est véritable, puisqu’ils arrêtent l’écoulement du sang et contraignent celui-ci de demeurer dans les vaisseaux. »

L’un des principaux soucis de Guillaume d’Auvergne c’est d’affirmer que le flux n’est pas dû à l’apport de nouvelles masses d’eau, le reflux à l’enlèvement de ces eaux ; c’est donc de

  1. Voir : Première partie, t. II, ch, XXII, § XIV, pp. 377-386.