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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Lorsqu’il commente le quatrième livre de la Physique, il se heurte[1] à la théorie, développée par Aristote, selon laquelle l’eau se meut naturellement jusqu’au moment où elle est conjointe à l’air, parce que l’air est à l’eau comme une forme à l’égard d’une matière. De cette proposition, il donne déjà une interprétation qui dévie du sens que lui attribuait Aristote :

« Le corps logeant est au corps logé ce que l’air est à l’eau ; l’eau, en effet, est la matière de l’air, et l’air est comme l’espèce et la forme de l’eau ; l’eau est comme une puissance, une matière, une corruption de l’air ; l’air est comme un acte et une génération de l’eau ; l’air, il est vrai, est aussi de l’eau en puissance, mais en vertu d’un autre mode de puissance et par suite de la génération cyclique des éléments ; mais si l’on compare les éléments au point de vue de la noblesse et de la formalité, l’air est l’acte de l’eau et l’eau est la puissance de l’air. »

Ces explications, peu conformes aux indications du Stagirite, trahissent déjà l’embarras que cause à Maître Albert la doctrine platonicienne du lieu naturel qu’il rencontrait au quatrième livre des Physiques. Ces considérations, d’ailleurs, il promet de les compléter au quatrième livre du Traité du Ciel. Recourons donc à ce complément[2].

« La surface concave de l’orbe de la Lune (orizon) est le contenant de tous les corps qui se meuvent vers le haut ; de même, le milieu, c’est-à-dire l’espace borné par la surface [interne] de l’eau, est le contenant de tous les corps qui se meuvent simplement vers le bas. Or contenir, c’est l’acte d’une forme. Tout lieu sera donc une forme. Chacun de ces deux lieux, en effet, contient certains corps, et vers lui se meut tout corps qui en est en puissance… ; il faut donc qu’une certaine partie de ce qui borne en haut et qu’une certaine partie du milieu qui est en bas soient comme la forme de la chose contenue.

» Je dis : Une certaine partie de ce qui borne en haut. Ce n’est pas, en effet, le corps contenant tout entier, qui est forme [du corps contenu] ; il est bien plutôt le contraire de cette forme. [Ce qui est forme du contenu], c’est la surface ultime qui renferme et touche le corps contenu par elle. Et cette surface même, si elle, est semblable [au contenu], ce n’est pas parce qu’elle est surface du corps contenant, mais parce qu’elle est le terme du corps logé. Cette surface, en effet, si on la rapporte

  1. Alberti Magni Libri physicorum, lib. IV, tract. I, cap. XV.
  2. Alberti Magni Libri de Cælo et Mundo, lib. IV, tract. II, cap. I.