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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

L’ensemble d’un élément se meut jusqu’au moment où il confine de toutes parts à un autre élément qui lui est congénère, qui possède en commun avec lui une des quatre qualités premières ; lorsqu’il est environné par cet élément, il se trouve en son lieu naturel et y demeure immobile. « C’est pour cette raison que la terre se meut vers le confin de l’eau », et non plus vers le Centre de l’Univers.

Une telle théorie du lieu naturel, du mouvement naturel, c’est celle à laquelle se trouvait naturellement conduit un lecteur du Timée, car Platon enseignait[1] que « le feu se porte vers le lieu de l’Univers où la plus grande masse de feu est rassemblée ». Il disait : « Lorsque nous détachons un morceau de terre et que nous le portons au sein de l’air qui ne lui est pas semblable, il nous faut faire violence et agir contre la nature, car une portion de terre et un volume d’air adhèrent l’un et l’autre aux corps qui sont de même famille (ξυγγενής) qu’eux-mêmes… On nomme gravité la tendance qui porte un corps vers l’ensemble des corps de même famille. » Une telle théorie, c’est celle que Plutarque exposait[2] dans son opuscule Sur la figure que montre le globe de la Lune ; c’est au nom de cette théorie que ce Philosophe de Chéronée formulait cette proposition : « Ce qui caractérise les corps pesants, ce n’est pas le besoin de se placer au centre à l’égard du Monde, c’est une certaine communauté, une certaine ressemblance de nature qu’ont, avec la terre, les corps qui en ont été arrachés et qui, par la suite, y retombent. »

Cette théorie de la gravité, qui ne fait plus jouer aucun rôle au centre du Monde, Aristote l’avait très vivement rejetée dans son traité Du Ciel, et la condamnation qu’il avait formulée, nous l’avons entendue de la bouche d’Averroès. Voici cependant que des propos mêmes tenus par le Stagirite dans la Physique, et sans les forcer aucunement, le Commentateur de Cordoue tire de nouveau l’énoncé très formel de cette doctrine platonicienne. Il est bien clair que deux opinions contradictoires se heurtaient dans la pensée d’Aristote, et les commentaires d’Averroès n’ont fait que mieux ressortir l’opposition des deux doctrines.

Ceux qui, après avoir lu Aristote, s’étaient attardés à l’étude d’Averroès pouvaient, à bon droit, se demander : Qu’est-ce

  1. Voir : Première partie, ch. II, § VI ; t. I, pp. 49-50.
  2. Voir : Première partie, ch. XIII, § XII ; t, II, pp. 361-362.