Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
107
L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — I

une partie à l’égard du tout continu dont elle a été séparée ; toute partie qui a été séparée d’un tout continu s’arrête quand elle se trouve mise en continuité avec ce tout ; elle demeure en repos au contact de ce tout ; ainsi en est-il d’une partie de l’eau, qui a été séparée de l’eau totale, lorsqu’elle se meut vers cette eau totale et lorsqu’elle se trouve enfin en continuité avec celle-ci. Il en résulte que le corps logé demeure fixe dans son lieu naturel en tant qu’il est une partie de ce lieu…

» La cause du repos naturel est donc la même que la cause du mouvement naturel ; c’est la ressemblance qu’il y a entre le contenant [et le contenu]… Lorsque le corps logé touche le corps qui le loge, il s’unit à lui ; il y a ressemblance entre eux parce qu’ils sont congénères. »

« Si chaque corps[1] se meut vers la concavité qui lui sert de contenant, c’est simplement parce que cette concavité lui est semblable ; si le feu, par exemple, se meut vers la partie ultime de la concavité de l’orbe lunaire c’est simplement parce que cette partie ultime lui est semblable ; c’est pour la même raison que la terre se meut vers le confin de l’eau… La terre a ressemblance avec l’eau, l’eau avec l’air, l’air avec le feu, le feu avec l’éther… Par corps semblables, Aristote entend deux corps qui ont une qualité commune, tandis qu’ils diffèrent par une autre qualité ; ainsi l’air est semblable au feu parce qu’il s’accorde avec lui par la chaleur, bien qu’il lui soit contraire par son humidité. »

Le principe de tout mouvement naturel, de tout repos naturel, peut donc se formuler ainsi : Le semblable se meut vers son semblable.

Une partie d’un élément, détachée de l’ensemble de cet élément, se meut jusqu’à ce qu’elle retrouve le tout dont elle a été séparée, et lorsqu’elle l’a rejoint, elle demeure en repos. « Une partie de l’eau qui a été séparée de l’eau totale se meut vers cette eau totale. » Si donc les fleuves coulent, ce n’est pas que l’eau tende à gagner les lieux les plus bas, les plus voisins du centre du Monde ; c’est que l’eau qui les forme, venue de la mer, tend à retourner à son tout. Si la terre était transportée au contact de l’orbe de la Lune, une pierre, détachée de la terre, ne tomberait pas pour gagner le centre du Monde ; elle monterait pour rejoindre l’élément dont elle a été séparée.

  1. Averrois Cordubensis In libros Aristotelis de Cælo commentarii magni, lib. IV, summa secunda, comm. 23.