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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

du centre de la sphère terrestre, et l’en écarter assez pour qu’une partie de la terre restât découverte.

Cette pensée finaliste se retrouve en un passage du cinquième traité des Frères de la Pureté ; mais ce passage semble attribuer simplement, aux inégalités de la surface terrestre, l’existence des continents.

« S’il n’y avait pas de montagnes à la surface de la terre, disent les Frères de la Pureté[1], si cette surface était parfaitement unie de toutes parts, les mers se répandraient sur cette surface et la recouvriraient entièrement ; l’eau entourerait la terre de tous côtés, comme le fait l’atmosphère. A la surface de la terre, les mers ne formeraient qu’une seule mer. Mais la Providence divine et la Sagesse du Seigneur ont voulu qu’une partie de la surface terrestre demeurât hors de l’eau, afin de servir d’habitation aux animaux terrestres. »

Deux doctrines inconciliables touchant l’équilibre de la terre et des mers semblent donc se partager la faveur des Frères de la Pureté.

L’une de ces doctrines inspire le dernier des passages cités. Elle se peut formuler ainsi : La surface des mers est celle d’une sphère concentrique au Monde. La terre tend également à prendre la figure d’une sphère concentrique au Monde ; mais cette tendance n’atteint pas pleinement son effet ; elle laisse subsister, à la surface de la terre, des éminences et des dépressions ; tandis que les dépressions sont submergées, les éminences forment les continents et les îles. Cette doctrine, c’est celle que suggère la lecture du Περὶ Οὐρανοῦ.

L’autre doctrine admet également que la surface de l’eau est sphérique et que la terre diffère peu d’une sphère ; mais à ces deux sphères, elle n’attribue pas le même centre ; en outre, la ligne qui joint le centre de la terre au centre de la surface des mers se trouve, ou à peu près, dans le plan de l’équateur terrestre.

De ces deux centres, quel est celui qui coïncide avec le centre de l’Univers ? Les Frères de la Pureté ne le disent point. A leur avis, c’est le bon plaisir divin qui, à chaque élément, assigne sa sphère et son centre. Ils suivaient, en cela, l’opinion des Motékallémîn. « Il ne convient pas plutôt à la terre, disaient les

  1. F. Dieterici, loc. cit., pp. 100-101.