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LE SYSTÈME D’HÉRACLIDE AU MOYEN ÂGE


savons guère que ce que son nom nous révèle ; sa race était de l’Hibernie, de l’île d’Érin que nous nommons Irlande ; il était venu de Scotie, c'est-à-dire d’Irlande ou d’Écosse, en France ; c’est pourquoi il était nommé Jean Scot Érigène[1].

Jean Scot traduisit donc les divers traités du Pseudo-Aréopagite et de leur commentateur Maximus ; à son tour, il les commenta ; mais il ne s’en tint pas à ces travaux ; il produisit des œuvres où s’affirmait sa propre pensée ; parmi ces œuvres, il en est une qui les domine toutes, non seulement par l’étendue, mais aussi et surtout par l’originalité de la doctrine ; c’est celle à laquelle l’auteur a donné ce titre : « Περὶ Φύσεως μερισμοῦ, id est de divisione Naturæ libri quinque ».

Pour exposer, dans toute son ampleur, son système théologique et cosmologique, Jean Scot a suivi l’exemple que lui traçaient les Pères de l’Église dont les ouvrages lui étaient extrêmement familiers ; il a commenté l’œuvre des six jours de la Création, telle que la raconte le premier chapitre de la Genèse, mais quelle audace en la pensée néo-platonicienne qui inspire tout ce commentaire, et quelle liberté dans l’interprétation des textes de l’écriture !

Cette audace et cette liberté extrêmes ne sont pas, d’ailleurs, sans péril pour le Philosophe de Charles le Chauve ; afin de se garder de l’hérésie, il n’a pas la sûre perception du dogme catholique qui avait si bien servi le Pseudo-Aréopagite ; aussi lui arrive-t-il souvent de s’égarer hors de l’orthodoxie ; le Néo-platonisme de son Περὶ Φύσεως μερισμοῦ aboutit, dit-on[2], au Panthéisme, et son traité De Eucharistia fut, au dire de Vincent de Beauvais, censuré au concile de Verceil.

Mais ce n’est point des théories métaphysiques et théologiques de Scot Érigène que nous avons affaire en ce moment ; ce qu’il a enseigné touchant les astres et les éléments doit seul nous occuper ; plus tard, il nous sera donné de revenir sur certains points de sa philosophie.

L’enseignement de Scot sur ces questions de Physique porte la

  1. Les manuscrits portent plus souvent Scotus Eriugena que Scotus Erigena, Thomas Gale en avait conclu que Jean Scot n’était point originaire d’Irlande, mais de la ville d’Eriuven, dans le cercle d’Ergène, en Angleterre. On ne s’expliquerait plus alors comment certains textes remplacent Erigena par Hibernicus. Il semble prouvé aujourd’hui qu’Eriugena est une corruption par transposition de Ierugena (Ἱερουγενής), originaire du Pays des saints ; Érin signifie, en effet, l’île des saints.
  2. Saint-René Taillandier a chaudement et, selon nous, victorieusement défendu Scot Érigène contre l’accusation de panthéisme (Saint-René Taillandier, Scot Erigène et la philosophie scholastique, Strasbourg et Paris, 1843, pp. 197-199, 212-216, 236-241).